Fête diocésaine - Rocamadour

Samedi 25 mai 2024.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade

Mes frères,

« Celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. » (Mc 10,15)

A la fin d’une journée « intergénérationnelle », ces mots de Jésus peuvent nous paraître exclure une bonne partie des participants. Mais, bien sûr, il ne s’agit pas du tout d’une exclusion des vieux au profit des jeunes. Peut-être même les enfants eux-mêmes ou en tout cas un certain nombre de jeunes ont eux aussi à retrouver, cachée quelque part en eux, cette âme d’enfant qui permet d’entrer dans le royaume de Dieu. Ce n’est jamais définitivement acquis d’avoir ce cœur d’enfant que Jésus nous invite à retrouver. Accueillir le royaume de Dieu à la manière d’un enfant, n’est-ce pas d’abord reconnaître Dieu comme le Père éternel et nous reconnaître nous-mêmes comme des fils et des filles, des personnes qui ont besoin du Père, qui ont besoin qu’il nous donne sa vie, qu’il nous fasse lui-même grandir, qu’il nous réapprenne à ne pas être suffisants, à ne pas être orgueilleux ni satisfaits de nous-mêmes ?

Jésus bénissait les enfants en leur imposant les mains. La tentation des disciples était de les écarter : Jésus est venu pour des choses sérieuses ! Pas pour perdre son temps avec des gosses ! Mais non, au contraire, il est venu pour ceux qui se savent petits, qui savent qu’ils ont besoin de grandir, qu’ils ont besoin de quelqu’un de plus grand pour les aider à vivre. Cette sagesse de l’enfance est si fondamentale dans la foi chrétienne !

Jésus lui-même se réclame sans cesse de sa relation avec son Père. Il est éternellement enfant en tant que Fils éternel du Père. Il nous montre cette humilité qui lui permet à la fois de tout recevoir du Père, de lui obéir parfaitement et aussi d’être parfaitement libre, inventif et adulte, j’oserais dire « viril » dans sa mission.

Au désert, Dieu a guidé son Peuple en lui donnant les dix commandements, pour qu’ils connaissent le bien et le mal et puissent librement choisir le bien, avoir le courage du bien. Jésus, lui, a enseigné la Loi nouvelle, loi d’amour et du don de soi désintéressé.

Ainsi, dans un monde obsédé par la grandeur, la croissance, les progrès, les succès et toute nouvelle forme de pouvoir, le vrai courage, n’est-ce pas de choisir, comme Jésus, l’abaissement et le don de soi ? N’est-ce pas de choisir la confiance en Dieu le Père qui peut tout et sur qui nous pouvons toujours compter même si nous ne le voyons pas ou ne le sentons pas ? L’enfant, à moins d’avoir été gravement maltraité, sait que ses parents ne vont pas le laisser dépérir et il crie vers eux dès qu’il a le moindre besoin ou la moindre difficulté. L’enfant est aussi naturellement capable de partager, de donner ce qu’il tient dans sa petite main. Ce sont les adultes qui lui apprennent, trop vite, trop souvent, à garder pour lui, à ne pas partager, à ne pas donner tout ce qu’il possède. Il est tout entier présent à ceux qui lui sourient. Nous avons tant à apprendre des enfants ! Jésus avait un cœur d’enfant car il s’est donné sans compter, il a donné sa vie, par amour pour les pécheurs, il s’est abandonné entre les mains du Père qui, seul pouvait le sauver de la mort.

Accueillir le royaume de Dieu à la manière d’un enfant, c’est se laisser aimer. C’est très simple et souvent, pourtant, nous ne nous y risquons pas. Nous voudrions, au contraire, réussir des exploits, faire preuve de vertu, attirer les autres à Dieu, montrer à Dieu et au monde que nous l’aimons. Et la réalité est souvent bien pauvre. Alors, nous sommes déçus, découragés parfois, parce que nous comptions sur nos propres forces et nous en touchons les limites. Même s’il nous arrive de progresser dans ces domaines ce qui est très bien, nos efforts ne réalisent jamais que de petits germes de sainteté. Comme disait sainte Thérèse de l’enfant Jésus, nous ne sommes pas vraiment capables de monter l’escalier, mais nous pouvons monter dans l’ascenseur et c’est le Seigneur qui nous fera grimper jusqu’au ciel. C’est cela accueillir le royaume de Dieu à la manière d’un enfant, compter sur l’ascenseur divin plus que sur nos pauvres forces. Monter dans l’ascenseur est la preuve de notre bonne volonté, de notre confiance, de notre abandon entre les mains du Père. L’enfant ne cherche pas à savoir quel est le fonctionnement de l’ascenseur divin. Il appuie sur le bouton, sans connaître l’enchaînement complexe de forces mécaniques et électroniques qui le fait s’élever. Mais il a posé un acte de confiance et c’est la seule chose qui a du prix aux yeux de Celui qui a construit cet ascenseur, de Celui qui fait advenir son royaume.

Quand le Peuple de Dieu s’est mis en route vers la Terre Promise, il ne savait pas comment il échapperait à l’armée de Pharaon, il ne savait pas comment il traverserait la mer rouge, il ne savait pas ce qu’il allait manger dans le désert. Il ne pouvait pas deviner qu’il y aurait la manne et il ne s’était pas renseigné sur les périodes de migration des cailles. Mais il s’est mis en route. Il a fait confiance à Moïse et surtout au Seigneur Dieu qui avait accompli des prodiges pour le faire sortir d’Egypte. Par moment, le peuple a perdu confiance ou a refusé d’avancer, il y a eu des crises. Mais à chaque fois, la bonté de Dieu a été plus grande que sa justice. Il a façonné à son peuple un cœur d’enfant, tellement humble à la fin que les hébreux en arrivant en terre promise se voyaient comme des sauterelles en face des habitants qu’il y ont trouvé (cf. Nb 13,33) ! La tentation, alors, était de fuir, de refuser d’avancer et de perdre à nouveau confiance.

L’enfant qui se croit abandonné est plein de terreur, trépigne et perd toute son audace. Mais parmi les hébreux, Josué et Caleb ont gardé confiance dans le Seigneur et ils entreront directement en Terre Promise (Cf. Nb 14,38). Caleb ira s’installer à Hébron avec sa tribu, par la seule puissance de Dieu qui le rend victorieux des géants Anaquites (Cf. Jos 15,13-19). On voit ainsi que l’histoire sainte, l’histoire de la relation de Dieu avec les hommes, est toujours l’histoire de ceux qui comptent vraiment sur Dieu, de ceux qui accueillent son royaume avec des cœurs d’enfants. Le nom de « Caleb » signifie « chien » ce qui porte notamment une signification de fidélité et de docilité à son maître, c’est le brave chien qui a confiance en son maître et le sert humblement. Caleb est appelé « serviteur du Seigneur », ce qui est une désignation rare dans ce contexte biblique, avant l’époque des rois : « mon serviteur Caleb, dit Dieu, un autre l’esprit l’anime, il m’a suivi sans hésitation » (Nb 14,24).
Chers frères et sœurs, en ce jour de fête, demandons au Seigneur cette grâce d’avoir tous un cœur d’enfant pour accueillir avec humilité et confiance le royaume de Dieu. La bienheureuse Vierge Marie nous en a donné l’exemple, elle, l’humble servante du Seigneur, que Notre-Dame de Rocamadour qui présente sur son genou, l’enfant éternel, Jésus, nous obtienne cette grâce d’avoir et de garder un cœur d’enfant.
Amen.

+ Mgr Laurent Camiade

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