Samedi 24 mai 2025.
– Homélie de Mgr Laurent Camiade :
Mes frères,
Dans les confessions de Saint Augustin, on trouve cette phrase « Tu as blessé mon cœur par ton amour ». Cette phrase est à l’origine du cœur transpercé d’un glaive qui figure sur les armoiries du pape Léon XIV : c’est un élément héraldique qui, à partir du XVIème siècle, sera toujours présent, avec différentes variations, dans l’emblème augustinien. Le cœur du blason du pape Léon est disposé sur un livre qui symbolise la Parole de Dieu capable de transformer le cœur de tout homme, comme ce fut le cas pour saint Augustin.
Il y a ainsi une continuité avec le pape François dont le dernier grand texte, la dernière encyclique portait sur l’amour humain et divin du cœur de Jésus-Christ. « Il nous a aimés ». Ce texte venait à point dans le cadre des 350 ans des apparitions du Christ à sainte Marguerite-Marie à Paray-le-Monial où il lui demandait de répandre la dévotion au cœur de Jésus. C’est aussi dans ce contexte que nous allons aujourd’hui renouveler la consécration du diocèse de Cahors au Sacré Cœur, qui avait été faite en 1843 par Mgr Jean-Jacques-David Bardou. Dans sa lettre pastorale du 27 décembre 1842 où il propose au diocèse la dévotion au Sacré Cœur de Jésus et annonce son projet de consécration, il explique sa démarche par la volonté de confier son troupeau au seul vrai gardien de leurs âmes, le Très Saint Cœur de Jésus, afin, dit-il, de « suppléer aux défauts notre vigilance et à la faiblesse de nos ressources, de peur qu’aucun de vous ne périsse ». Sa première idée sur le Cœur de Jésus est qu’il est un sûr gardien pour les âmes de ses diocésains.
Bien des saints et des auteurs spirituels ont eu, en effet, cette idée que l’on pouvait se réfugier en pensée dans la blessure du cœur du Christ et que là, dans ce lieu même d’où l’amour pur jaillit, on ne risque rien. Demeurer dans le cœur de Jésus, c’est devenir son ami. Ainsi le disait saint Bonaventure dans une formule très poétique où non seulement l’âme se cache dans le côté du Christ, mais elle y protège tous ces petits auxquels elle tient : « Lève-toi donc, âme amie du Christ et sois la colombe qui fait son nid dans le mur d’une grotte, sois le moineau qui a trouvé une maison et ne cesse de la garder, sois la tourterelle qui cache les petits de son chaste amour dans cette ouverture sacrée » (cité par François, Dilexit nos, n. 108).
Mgr Bardou, en 1853, avait ainsi placé un cœur en argent figurant le cœur de Jésus au-dessus de la statue de Notre-Dame, ici à Rocamadour. Dans ce cœur il avait caché la liste des nombreuses paroisses de son diocèse. Ce cœur a, plus tard, été remplacé par un autre en bronze doré, que nous venons de faire nettoyer et dans lequel, en continuité avec cet illustre prédécesseur, j’ai placé maintenant la liste actuelle des paroisses ou groupements paroissiaux du diocèse de Cahors, ainsi la mémoire de ce jour de consécration sera gardée ici à Rocamadour, auprès de notre chère Vierge noire. Il sera tout à l’heure remis à sa place, au faîte de la tapisserie qui est derrière l’autel de la Vierge.
Que signifie se cacher ou cacher ses petits dans le cœur de Jésus ? C’est simplement se laisser aimer par lui et confier à cet amour tous ceux que l’on aime. Il semble, à lire sa lettre pastorale, que Mgr Bardou avait le sentiment d’être dépassé par l’étendue de sa mission en regard de ses limites humaines. Comme je comprends ce sentiment, même si je lui succède 170 ans plus tard, dans des circonstances bien différentes, mais la mission à laquelle Jésus nous fait l’honneur de nous appeler est tellement au-dessus des capacités humaines ! Pourtant, savoir qu’il nous aime et que c’est de son amour seul dont nous avons à témoigner est une immense consolation. Etre aimés par celui qui nous appelle et nous envoie redonne l’enthousiasme de la mission.
Mes frères, dans notre diocèse, il y a une magnifique histoire de sainteté avec beaucoup de témoins magnifiques, ceux du passé comme Amadour, Alain de Solminihac, Annette Pelras, Jean-Gabriel Perboyre, Pierre Bonhomme et beaucoup d’autres, mais aussi ceux d’aujourd’hui qui ne manquent pas. Il y a des saints parmi vous ! Mais il y a également des blessures, des guerres, des violences, de l’anticléricalisme, des magouilles, des jalousies, des querelles d’ego, des scandales financiers ou de mœurs, des profanations d’églises et de l’eucharistie, et plus souvent encore que tout cela, tant d’indifférences à l’amour infini de Jésus… La blessure du cœur de Jésus et de nos propres cœurs, s’il nous y reste un minimum d’amour, est très actuelle et multiforme. Mais en décidant aujourd’hui de nous consacrer au Sacré Cœur en renouvelant la consécration de Mgr Bardou, nous pouvons attendre de nombreux fruits de réconciliation, de guérison, de purification et d’élévation des âmes par le feu de l’amour divin. Sainte Marguerite-Marie disait à Jésus « J’espère tout de ta bonté. Consomme donc en moi tout ce qui peut te déplaire et te résister ».
Au-delà de cet élan fondamental de purification, contempler le Cœur de Jésus c’est aussi y découvrir de nouveau le secret qu’il avait confié à tous ses disciples : « je suis doux et humble de cœur », « venez à moi » « et vous trouverez le repos pour votre âme ». Cette douceur et cette humilité du cœur du Christ, dont l’Évangile nous a transmis le secret, sont des clés pour vivre et évangéliser, valables encore aujourd’hui en 2025. Face aux difficultés de l’existence, face à l’étendue de la mission, nous pourrions croire qu’il convient de se durcir, d’impressionner nos adversaires ou d’épater la société actuelle par « le génie du Christianisme ». Mais c’est le chemin inverse que Jésus a choisi et c’est ainsi qu’en livrant son cœur, transpercé pour qu’en jaillisse du sang et de l’eau, symboles de l’Église naissante, il a sauvé le monde. Le combat spirituel ne consiste jamais à dominer par la force, mais à opposer l’humilité à la vanité, la douceur à la violence, l’amour à la haine.
Ces injonctions paradoxales ont peut-être quelque chose d’effrayant car elles nous ramènent immanquablement à la croix. Mais seule la croix est la victoire sur le péché. Seulement « par ses blessures nous sommes guéris » (1 P 2,24). Ou bien, nous pourrions penser que la douceur et l’humilité de l’amour de Jésus sont une démission, voire un déni de la réalité. Mais ce serait bien mal écouter l’Évangile qui dit clairement : « prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples ». C’est le contraire de la démission. Mais le joug du Christ est précisément cette pièce de bois portée par deux bœufs et qui les relie entre eux pour tirer la charrue. Le joug du Christ ne se porte pas seul, mais avec Lui, avec la puissance de sa résurrection, avec l’élan de son amour. Sans le feu de son amour à lui, comment saurions-nous aimer comme lui ? Prendre son joug, c’est le laisser enflammer nos cœurs, le laisser blesser notre cœur par son amour comme l’avait expérimenté saint Augustin.
« L’espérance naît de l’amour et se fonde sur l’amour du cœur de Jésus transpercé sur la croix » écrivait le pape François dans la bulle d’indiction du jubilé de l’espérance. Que notre belle journée de fête diocésaine, de démarche jubilaire et de consécration ranime en nous cette espérance fondée sur l’Amour du Cœur de Jésus.
Amen.
+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors
– Acte de consécration au Sacré Cœur de Jésus :
(Inspiré de l’acte de consécration de Mgr Bardou en 1843)
Père très aimant, sûr de l’amour infini de ton Fils, désirant te rendre gloire et favoriser l’attirance que Tu exerces sur tous ceux que tu as confié à mon ministère pastoral, en présence de Notre-Dame de Rocamadour et de toute la cour céleste, je m’offre tout entier au cœur humain et divin de Jésus-Christ, avec mon diocèse de Cahors, par un acte de consécration solennelle.
Nous le voyons, de plus en plus de personnes, spécialement des jeunes adultes, manifestent l’attrait exercé par l’amour divin en demandant le baptême, la confirmation et l’eucharistie, ou en recommençant à croire après des années de doute, de distance et de quête spirituelle. J’ose te demander la grâce que tout le peuple que ta miséricorde a daigné me confier fasse un pas de plus vers Toi, découvre combien Tu l’aimes et réponde avec enthousiasme à cet Amour pour qu’il rayonne davantage. Daigne bénir mes efforts de pasteur et ceux de tous les prêtres, des diacres et des laïcs qui s’impliquent dans notre mission commune de t’aimer et de te faire aimer. Apprends-nous à marcher ensemble à ta suite avec une même créativité audacieuse, afin que notre amour mutuel témoigne que nous sommes tes disciples et fasse de nous des artisans de paix.
Reçois également, ô Cœur de Jésus, le don que te font d’elles-mêmes toutes les familles chrétiennes et chacun de leurs membres. Époux unis ou déchirés, pères, mères, enfants, riches et pauvres, jeunes et vieux, appellent sur leurs têtes Tes douces bénédictions. Qu’en se laissant toucher par ton divin cœur, chacun trouve secours, soulagement, succès, consolation et joie, ici-bas et dans la vie éternelle.
Les yeux fixés sur le Cœur brûlant d’amour de Jésus, je m’abandonne aujourd’hui à la volonté du Père dans le souffle de l’Esprit Saint. Je veux servir Dieu, le glorifier de tout mon être et participer, par mon dévouement à ma vocation et par les tourments qu’il m’est permis d’offrir, à la réparation des offenses et des ingratitudes humaines. Garde-moi sensible à ta douleur devant toutes les sortes d’abus au sein de ton Église, manques de révérence et d’amour envers ton Saint-Sacrement ou d’autres mystères de la foi, manques de respect et de bienveillance envers les plus petits, auxquels tu t’es identifié, spécialement ceux qui ont subi des injustices ou des violences. Aide-moi à accueillir pleinement ta lumière pour mieux m’associer à ton œuvre de réparation. Toi seul peux guérir toutes les blessures et les maladies, réconcilier et sauver chacun d’entre nous. Que par cet acte de consécration, nos cœurs s’ouvrent au tien et que le flot de ton Amour nous donne la guérison.
Cœur adorable de Jésus, apporte la paix et la joie au monde entier, bénis et sanctifie le diocèse de Cahors, rends nos cœurs doux, humbles et brûlants d’amour. Soutiens-nous à l’heure de la mort pour que nous puissions nous rassasier de tes dons dans l’éternité. Amen.
(A noter : ce document a été inclus dans le cœur en bronze doré au faîte de la tapisserie de la chapelle Notre-Dame).