Fête de tous les saints

Vendredi 1er novembre 2024.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

En célébrant la fête de tous les saints, de tous ceux qui sont aujourd’hui dans la contemplation bienheureuse du Dieu d’amour parce qu’ils l’ont aimé et servi pendant leur vie terrestre, nous ne sommes pas seulement assurés de pouvoir compter sur leur prière à nos intentions, nous sommes également replacés devant notre propre vocation à la sainteté.

Je crois que j’aime bien insister là-dessus parce qu’il me semble souvent que nous n’avons pas assez le désir de la sainteté ou bien, il se pourrait que nous n’y croyions pas vraiment, que nous soyons trop souvent désespérés de nous-mêmes et que nous ne nous croyions pas capables de devenir des saints. C’est vrai que nous sommes pécheurs et que nous connaissons les conditionnements de notre nature marquée par le péché, nous connaissons nos défauts, nos faiblesses, nos handicaps dans la course vers le ciel. Mais ceux qui ont été canonisés n’en avaient pas moins que nous. Ils ont pourtant manifesté que Dieu leur a donné une liberté plus profonde et plus forte que tous leurs conditionnements psychologiques et sociaux. Comme le dit saint Jean dans la seconde lecture de cette messe, Dieu le Père nous a donné « son grand amour » « pour que nous soyons appelés enfants de Dieu et nous le sommes » (1 Jn 3,1).

Prenons saint Paul, par exemple. Il était juif, pharisien, de la catégorie des plus intransigeants et des plus opposés au message de liberté apporté par Jésus. Il voulait faire combattre les chrétiens et il conduisait une délégation chargée d’arrêter tous ceux qui vivaient à Damas. Mais voilà que sur ce chemin de Damas, le Christ lui apparaît et il tombe à terre. De persécuteur ardent, il devient un apôtre zélé de la foi qu’il combattait auparavant. Tout son réseau relationnel le poussait à prendre le chemin inverse, les chrétiens eux-mêmes ont eu bien du mal à croire qu’il s’était converti. Néanmoins, certains vont l’aider à se cacher car il entre lui-même dans la clandestinité et il va passer trois ans au désert pour méditer sur sa conversion et sur le mystère de Dieu, avant d’aller trouver Pierre et Jacques à Jérusalem et d’obtenir leur confiance pour s’associer à la mission de l’Église. Évitant son milieu d’origine, il devient l’apôtre des païens. Voilà pour sa victoire sur les conditionnements sociaux. Mais ce n’est pas tout. Il évoque aussi des conditionnements psychiques qui lui font faire le mal qu’il ne voudrait pas et ne pas parvenir à faire le bien qu’il voudrait. Il parle aussi d’une écharde dans sa chair dont il a prié Dieu de le libérer. Mais la réponse du Seigneur le libère : ma grâce te suffit… elle se déploie dans la faiblesse. Ce message est extraordinaire. Il montre comment Dieu libère ceux qu’Il aime, il transforme même leurs faiblesses en lieux de grâce, il ouvre toujours un chemin devant nous, même quand nous sommes fragilisés.

Prenons un exemple plus récent, le cardinal Newman (1801-1890). Ce prêtre anglican a grandi dans un milieu hostile au catholicisme. Mais au nom de la vérité théologique qu’il a découverte, il choisit de rejoindre l’Église catholique. Il n’avait aucun ami catholique, aucune inclination affective vis-vis des catholiques, même le pape de son époque ne lui semblait pas très sympathique. Mais il choisit tout de même la cohérence avec ce que la foi et ses recherches théologiques lui avaient fait identifier comme l’authentique tradition ininterrompue depuis les apôtres. Il voulait réellement embrasser la foi, la même foi que celle des Apôtres, croire exactement ce que croyaient les Apôtres. Et c’est son désir profond de cohérence qui a été sa grâce propre, renonçant à la sécurité de l’emploi et au confort intellectuel des cercles du mouvement d’Oxford dont il était un des principaux membres, reconnu et très écouté, pour se lancer dans l’austérité d’un chemin dont il ne savait vraiment pas où il le conduirait sur le plan humain, mais dont il était sûr que le Seigneur l’attendait de lui.

Je voudrais citer encore beaucoup d’autres exemples. Évoquons simplement une sainte, sainte Térésa de Calcutta. Vous savez qu’elle a grandi dans une famille bourgeoise catholique albanaise et elle est entrée chez les sœurs de Lorette. Sa mère a bien accepté sa vocation, mais son frère s’y opposait en disant que c’était du gâchis. Cette jeune fille avait beaucoup de talents elle aurait sans doute pu faire un beau mariage et avoir une vie rayonnante. Mais, libre malgré cette opposition, elle devient religieuse. Sa congrégation l’amène à se dévouer dans l’enseignement des jeunes filles. Mais son noviciat à Calcutta lui donne aussi l’occasion de découvrir l’extrême pauvreté. Elle est une bonne enseignante, pédagogue et aimée de ses élèves. Mais 18 ans après son entrée chez les sœurs de Lorette, elle perçoit un nouvel appel du Seigneur, cette fois-ci à sortir du couvent pour vivre avec les pauvres. Elle exposera ce nouveau désir à l’évêque de Calcutta qui va d’abord refuser. Ce n’est que deux ans après qu’elle sera autorisée à tenter cette expérience. On connaît bien aujourd’hui les sœurs Missionnaires de la charité qu’elle va fonder, mais ce chemin nouveau n’était pas tracé d’avance. Il a fallu une grande confiance dans l’appel du Seigneur et un désir ardent de répondre à son amour manifesté sur la croix, et même à consoler Jésus, à lui donner à boire, lui qui avait dit « j’ai soif » au moment de sa mort, comme tant de mourants dans les rues de Calcutta vers qui elle se tourne, aussi démunie qu’eux, simplement pour leur témoigner un peu d’amour.

Bien sûr, vous me direz que ces exemples sont exceptionnels et que nous n’arrivons pas à la cheville de saint Paul, du cardinal Newman ni de mère Térésa. Pourtant, leurs exemples aussi frappants soient-ils et uniques en leur genre, ont quelque chose à nous dire que nous pouvons également réaliser. La sainteté n’est pas forcément compliquée.

Au contraire, les gestes les plus ordinaires et les moins visibles, s’ils sont accomplis par amour, ont une valeur d’autant plus grande. Si nous supportons, par exemples, l’ingratitude de telle ou telle personne, ou les contrariétés de la vie, ou les faiblesses de nos corps éprouvés par l’âge ou la maladie, ou toute sorte d’épreuve en y accueillant la grâce de Dieu qui suffit si on l’accueille de tout son cœur et avec confiance, c’est un authentique chemin de sainteté. En faisant cela, on s’inspire de saint Paul et on devient saint.

De même, si nous cherchons la vérité, si nous sommes à l’écoute de la parole de Dieu, si nous essayons de bien comprendre ou de mieux comprendre les commandements de Jésus et les enseignements de l’Église, si nous en tirons des conséquences pour rechercher une cohérence de vie, même dans une société contemporaine où c’est parfois l’individualisme qui commande et la recherche du plaisir qui paraît être le seul guide, si au contraire nous essayons de mettre en cohérence nos actes avec la vérité révélée par Dieu, nous manifestons qu’il existe vraiment en nous un désir de sainteté, un désir de correspondre à ce que dit l’Écriture « soyez saints car moi je suis saint » (1 P 1,16 // Cf. Lv 19,2). En faisant cela, on s’inspire du cardinal Newman et on devient saint.

Et même au sein de nos familles, il y a des personnes auprès de qui témoigner de l’amour du Christ. Même dans nos milieux sociaux et professionnels, auprès des voisins, des amis ou camarades de club de foot, il y a des gestes de bonté à poser en pensant à l’amour du Seigneur. Et autour de nous, dans notre ville de Cahors, il y a des pauvres et des possibilités avec les structures existantes ou en inventant si Dieu veut des modes d’action nouveaux, il y a des malades à visiter, des endeuillés à accompagner, et tant de personnes auprès de qui nous pouvons manifester qu’ils comptent pour nous et qu’ils sont des images de Jésus qui s’est abaissé pour nous sauver. En faisant cela, on s’inspire de mère Térésa et on devient saint.

Mes frères, Dieu nous appelle à la sainteté et il nous promet de nous donner la grâce nécessaire. Bien sûr, il existe de nombreux conditionnements, nous vivons dans un monde qui édicte des règles pour vivre comme si Dieu n’existait pas, mais nous restons toujours libres et la grâce du Seigneur, l’éclairage de sa parole ainsi que la présence autour de nous, comme de signaux d’alertes de ceux qui souffrent le plus des incohérences de notre temps sont là pour nous guider et nous fortifier. Dieu a confiance en nous et nous pouvons avoir confiance dans sa grâce et son appui quotidien. Il nous promet la joie du ciel où son amour ne nous décevra pas comme il ne déçoit jamais ceux qui comptent déjà ici-bas sur lui. « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux » (Mt 5,12).

Amen

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

Soutenir par un don