Epiphanie

Dimanche 5 janvier 2025, Figeac.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Voici arriver de magnifiques pèlerins d’espérance ! Ce sont des mages, des astronomes. Ils expliquent au roi Hérode qu’ils ont vu se lever l’étoile d’un roi d’Israël. Et, non seulement Hérode qui les a reçus mais tout Jérusalem est bouleversé.

Cela me frappe particulièrement, ce bouleversement de toute la ville. Autant la naissance de Jésus à Bethléem n’avait pas semblé intéresser tellement les habitants de ce chef-lieu peu connu, même si le témoignage des bergers les a ensuite un peu étonnés, autant l’arrivée des mages fait sensation dans tout Jérusalem. Ce sont pourtant des représentants d’une autre culture, ce qui ne devrait pas trop impressionner le peuple Élu, ce peuple de Dieu qui a déjà traversé tant d’épreuves et triomphé de tant de confrontations avec les puissances étrangères. Certes ces mages voyageurs se présentent sans doute comme des sages, et ils sont apparemment assez riches (la tradition a même vu en eux des rois). Mais ils se montrent incapables d’identifier par eux-mêmes le lieu exact de la naissance du roi qu’ils cherchent.

Or, justement, le peuple d’Israël sait, de par la Bible, le livre du prophète Michée en particulier (Mi 5,1), où doit naître le sauveur et il sait également que son avènement doit être accompagné de signes, d’une lumière dans les ténèbres, ce que cette histoire d’étoile semble évoquer et que les « les nations marcheront vers sa lumière et les rois à la clarté de son aurore » (Is 60,3), selon la prophétie d’Isaïe. La culture du peuple de Jérusalem est probablement une cause directe de cette émotion extraordinaire qui fait que l’arrivée de quelques savants orientaux avec leurs chameaux et leur histoire d’étoile peut provoquer un bouleversement de toute une ville. Les historiens estiment qu’il y avait alors 50 à 60 000 habitants à Jérusalem, 5 ou 6 fois plus qu’à Figeac aujourd’hui. Imaginez que toute la ville soit bouleversée parce que quelques astronomes auraient suivi une étoile !

Pourtant, il n’y a pas moins de raisons aujourd’hui d’être bouleversés qu’à l’époque des rois mages ! Si les gens veulent bien entendre que se sont réunis ici, dans cette ville, un groupe de néophytes, c’est-à-dire, des gens qui ont grandi plutôt éloignés de ce que l’on croit connaître de l’Église catholique et qui ont demandé à y être admis, baptisés, confirmés, pour pouvoir se laisser aimer par le Christ et se prosterner devant lui comme devant le Sauveur, le roi des rois et Seigneur des Seigneurs ! Ils ont vu briller son message comme une étoile lumineuse pour guider leur vie. Et même parmi ceux qui sont identifiés déjà depuis des années comme catholiques, combien font l’expérience, aujourd’hui ou bien souvent dans leur vie, de ce même amour, de cette même lumière du Christ ! Ils continuent de marcher, d’avancer dans la foi, de se laisser renouveler dans leur manière de vivre par la lumière du Sauveur !

Le pape nous demande à tous, en cette année jubilaire 2025, d’être des pèlerins d’espérance. Parmi les premiers pèlerins d’espérance, après Marie et Joseph qui ont marché vers Bethléem, après les bergers qui sont descendus de leurs pâturages pour aller voir Jésus dans la crèche, les rois mages sont peut-être des modèles parmi les plus remarquables en matière de pèlerins d’espérance ! En tout cas, ils sont venus de loin, ils se sont mis en route et ils ont vu grandir à chaque pas leur espérance de rencontrer le sauveur et de se prosterner devant Lui.

Souvent les catéchumènes ont connu des étapes analogues à celles des mages. En ce sens qu’à travers ce qu’ils connaissaient de la vie, à travers des recherches personnelles, des questionnements ou des épreuves, ils ont entrevu une lumière et se sont tournés vers l’Église, à la recherche du Christ, tout comme les mages s’étaient tournés vers les autorités juives de Jérusalem et adressés à Hérode. Puis, les catéchumènes ont été mis en contact avec la parole de Dieu qui est transmise par la Bible et l’enseignement de l’Église, de la même manière qu’il a fallu aux mages les explications des grands prêtres et des scribes pour pouvoir continuer leur pèlerinage jusqu’à Bethléem.

Nous pouvons retenir de tout cela au moins trois choses :

D’abord, ce qui s’est passé à Jérusalem au moment de la naissance de Jésus, il y a plus de 2025 ans, continue de se produire aujourd’hui : la recherche spirituelle, la mise en route des plus courageux, leur rencontre avec la révélation biblique et avec ceux qui vivent déjà de cette Révélation et la contemplation de Jésus. On pourrait dire même qu’à chaque messe cela se produit car on sort de chez soi (on brave le froid et l’humidité s’il le faut) on se met en route pour l’église avec, dans le cœur, nos préoccupations, nos questions, et aussi les lumières qui ont déjà éclairé notre vie, puis on rencontre la communauté, on écoute ensemble la parole du Seigneur, on prie et l’on accueille la présence sacramentelle de Jésus sur l’autel et on s’avance encore vers Lui pour l’adorer et pour communier, pour nous nourrir de son amour et de sa force. Puis, comme les mages sont repartis par un autre chemin, on repart chez soi transformé, sanctifié, appelé à une vie meilleure, plus aimante et plus juste.

Ensuite, le rassemblement dominical, tout comme l’arrivée des mages à Jérusalem, a un impact social. Ce n’est pas seulement le fait que les cloches ont sonné ou que le parking près de l’église est saturé. Mais le fait que la parole de Dieu a retenti quelque part dans la ville, qu’un peuple s’est mis en route pour y puiser l’espérance et que le Seigneur s’est fait proche de nous pour que nous puissions le contempler et vivre de sa vie. Cela ne touche pas seulement les croyants mais cela constitue un événement qui bouleverse la société toute entière. Il n’est pas surprenant que certains s’en émeuvent de façon négative en cherchant à étouffer cette réalité, à la minimiser ou même à mettre des bâtons dans les roues quand ce n’est pas, dans beaucoup de pays, en persécutant les chrétiens. Il n’est pas anodin non plus, en positif, que même parmi ceux qui ne viennent pas à l’église, beaucoup sont rassurés de savoir que quelques-uns y vont, que la prière n’a pas déserté la ville, que la vie sociale n’est pas limitée aux préoccupations matérielles mais qu’elle a aussi une âme, que l’humain est spirituel, qu’il a une dimension surnaturelle et aussi une espérance car notre vie ne se limite pas à ce qui est visible. Ainsi, beaucoup comptent au moins encore sur l’Église pour célébrer les obsèques car elle préserve au milieu d’un monde désenchanté la ferveur d’une espérance en la vie éternelle.

Enfin, je voudrais souligner aussi l’importance pour l’Église en elle-même de la réalité des nouveaux-venus, néophytes, nouveaux baptisés ou convertis récemment confirmés ou ayant recommencé à croire. Ils témoignent de ce que la vie du Christ ressuscité continue de rayonner au sein de notre Église, que Dieu notre Père continue d’attirer à Jésus et que son Esprit Saint accompagne et éclaire ceux qui se mettent en route, tous ceux qui se font pèlerins d’espérance. Le cheminement de ceux qui arrivent de loin (comme les mages arrivaient de loin) est un encouragement pour tous à ne pas faire du sur place dans notre foi, mais à continuer de nous laisser attirer et aimer par Dieu, de nous laisser éclairer par sa parole et d’adorer le Christ, notre Sauveur, avec une ferveur renouvelée. Et c’est aussi un appel à être vraiment attentifs à ces nouveaux venus, à leur partager notre expérience de la persévérance dans la foi, l’espérance et l’amour. Nous avons beaucoup à recevoir les uns des autres et c’est aussi cela que nous inspirent les cadeaux des rois mages, tout comme les cadeaux que nous échangeons à Noël : nous avons besoin les uns des autres et les plus beaux cadeaux à nous faire sont les cadeaux qui partagent notre foi, notre espérance et notre amour.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

Soutenir par un don