Dimanche 27 avril 2025.
– Homélie de Mgr Laurent Camiade :
Mes frères,
Jésus ressuscité souffle sur les disciples et leur dit : « recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus » (Jn 20,22).
Cette mission des Apôtres de Jésus, de ceux qui l’ont vu ressuscité est très élevée, elle les associe à la mission même de Jésus qui est venu donner sa vie pour le pardon des péchés. Le don de l’Esprit Saint à l’Église permet à l’Église, malgré nos défaillances humaines, d’être étroitement associée à la mission même du Christ, le Fils de Dieu fait homme qui est mort et ressuscité pour donner la vie aux hommes.
Toute l’Église est associée au mystère du Salut réalisé dans le Christ. Tous les baptisés ont part, ne serait-ce que par leur prière, à cette mission d’obtenir le pardon des péchés. Ils ont aussi à témoigner du Christ, de la vie du Christ en eux, de son amour manifesté sur la croix et de sa miséricorde. Lors du jubilé extraordinaire de la miséricorde en 2016, le pape François avait insisté sur la tâche de tous les baptisés de rendre témoignage à la miséricorde de Dieu, spécialement en réalisant des œuvres de miséricorde, des œuvres de miséricorde spirituelle (conseiller ceux qui doutent ; enseigner les ignorants ; avertir les pécheurs ; consoler les affligés ; pardonner les offenses ; supporter patiemment les personnes ennuyeuses ; prier Dieu pour les vivants et pour les morts) et des œuvres de miséricorde corporelle (nourrir les affamés ; donner à boire à ceux qui ont soif ; vêtir ceux qui sont nus ; accueillir les étrangers ; assister les malades ; visiter les prisonniers ; ensevelir les morts).
Mais la grâce de remettre les péchés est donnée par le souffle de l’Esprit Saint aux successeurs des Apôtres, les évêques et leurs premiers collaborateurs, les prêtres. Cela se réalise dans le sacrement de la confession, pas beaucoup pratiqué, mais qui reste emblématique de ce que peut faire un prêtre et qui est un des trésors de l’Église catholique. Le pape François était très attaché à valoriser ce sacrement du pardon. Il insistait souvent, en effet, sur le fait que tous ceux qui sont décidés à changer de vie peuvent recevoir le pardon de tous leurs péchés. « La miséricorde sera toujours plus grande que le péché, disait le défunt pape, et nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne ».
Il ne saurait être question dans cette brève homélie de résumer tout ce qu’a enseigné le pape François, tant par ses paroles que par ses actes. Je voudrais seulement signaler trois points qui, me semble-il, ont besoin de nous être rappelés, à nous spécialement, catholiques du Lot. Car notre culture est imprégnée de matérialisme et d’un certain culte de la performance. En préférant visiter les pauvres, les lieux qui sont à la périphérie plutôt que les grands centres ou les populations les plus aisées, François a cherché, me semble-t-il, à nous provoquer, au moins sur ces trois points. Quels sont-ils ?
Le premier, je l’ai déjà mentionné en m’appuyant sur l’évangile de ce dimanche de la miséricorde et c’est l’humilité de se reconnaître pécheurs, plutôt que le soin des apparences ou la recherche de notre performance mondaine. Ce n’est pas facile pour nous car les injonctions auxquelles nous sommes souvent soumis dans l’ambiance culturelle dominante sont de réussir, d’avoir du succès, de soigner notre réputation. Pas besoin d’insister, mais il y a là un point de conversion majeur : accepter de nous regarder comme des pécheurs. Le pape François a montré l’exemple et il n’a jamais cherché à avoir l’air impeccable, il a simplement été lui-même. Il est, encore ces jours-ci, l’objet de nombreuses critiques, peut-être quelquefois justifiées, mais il n’a jamais prétendu ne pas être critiquable. Et il témoignait souvent de ce que le sacrement de la confession était pour lui, pour sa vie personnelle, un ressort essentiel. Il disait aussi très souvent qu’il fallait sortir de la « mondanité spirituelle » qui « consiste à rechercher, au lieu de la gloire du Seigneur, la gloire humaine et le bien-être personnel » (La joie de l’Évangile n. 93).
Le second point sur lequel je crois que le pape François aurait voulu que nous changions nos cœurs, c’est ce qu’il appelait le passage de la culture du déchet à la culture de l’accueil et de la rencontre. Abandonner la culture du déchet est, bien sûr, lié à la crise écologique, mais aussi à certaines formes de relations humaines pour lesquelles on en vient à estimer que la vie de telle ou telle personne ne vaut plus la peine d’être vécue et cela conduit au rejet de l’autre, au refus de l’accueil des migrants et des pauvres, à l’euthanasie ou à la dénatalité. La culture de la rencontre, à l’inverse, consiste à déployer nos efforts dans l’écoute, la compréhension mutuelle, sans fuir les confrontations inévitables mais en y cherchant patiemment ensemble à « intégrer les différences » (Fratelli tutti, n. 217).
Le troisième point de conversion qui me semble à méditer pour nous en repensant aux enseignements du pape François, c’est de retrouver nos vraies racines spirituelles plutôt que de vouloir nous en réinventer de plus confortables. Il rappelait souvent de ne pas fuir la croix mais d’être « disposés à des renoncements jusqu’à tout donner » (Soyez dans la joie et l’allégresse, n. 174). Avec les pères du synode sur les jeunes, François déplorait que « la mondialisation porte en elle d’authentiques formes de colonisation culturelle, qui déracinent les jeunes des appartenances culturelles et religieuses dont ils proviennent » (Il vit, le Christ, n. 185). Nous pouvons percevoir son appel à retrouver nos racines culturelles et spirituelles dans le fait que le pape François a très souvent cité des auteurs français, aussi bien des auteurs littéraires que des auteurs spirituels. Dans sa dernière encyclique, en particulier, il développe les enseignements de saint François de Sales, de sainte Marguerite-Marie, de saint Claude la Colombière, sainte Thérèse de l’enfant Jésus et saint Charles de Foucauld. A Marseille il a également cité saint Vincent de Paul, mais aussi Paul Claudel. Il cite volontiers Pierre Corneille, Léon Boy, Joseph Malègue, Marcel Proust ou Jean Cocteau… Ceux qui croient qu’il n’aimait pas la France se trompent lourdement. C’est plutôt comme s’il voulait nous rappeler certaines parts de notre patrimoine culturel et spirituel que nous avons tendance à oublier. Et ce qui marque l’ensemble de ces références, c’est l’invitation au don de soi à la manière de Jésus sur la croix et l’ouverture du cœur, la sensibilité, la tendresse, en radicale opposition avec le durcissement qui caractérise bien des aspects de la communication moderne et de nos relations sociales.
Frères et sœurs, en ce dimanche de la divine miséricorde, accueillons ces quelques bribes d’enseignement inspirés de notre défunt pape. Réapprenons à nous reconnaître pécheurs et n’hésitons plus à nous confesser ; développons une culture de la rencontre pour surmonter et même intégrer nos différences ; laissons nos cœurs s’attendrir, en renouant avec la plus profonde tradition culturelle et spirituelle de notre pays, le don de soi et la sensibilité aux plus pauvres. Le cœur de Dieu est tellement sensible à notre misère, nous ne pouvons en douter ! En soufflant sur ses disciples pour qu’ils reçoivent l’Esprit Saint, Jésus a voulu répandre jusqu’à nous son esprit de miséricorde, nous permettre d’y participer, d’en vivre et d’en témoigner. Sur ce chemin nous suivrons François qui, aujourd’hui, nous précède vers la maison du Père et nous pouvons commencer déjà à goûter quelque chose de la joie du ciel que nous prions Dieu de lui accorder en plénitude.
Amen.
+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors