Veillée de Noël 2022. Homélie de Monseigneur Laurent Camiade

Cathédrale de Cahors. Samedi 24 décembre 2022

 Accueil :

Chers frères et sœurs,

C’est Noël, Dieu vient sauver les hommes. Noël, c’est l’abolition d’une frontière que le péché avait dessinée et qui coupait les hommes de Dieu. C’est Dieu qui a pris l’initiative, il se fait petit enfant, il se fait l’un de nous pour nous sauver, parce qu’il nous aime. Pourrons-nous un jour prendre la mesure de cette bonne nouvelle ? Pourrons-nous accueillir vraiment en nous ce mystère extraordinaire ? Dieu avec nous, Dieu parmi nous, Dieu l’un de nous…

Mes frères, nous sommes toujours un peu déçus quand, autour de nous, on ne voit dans la fête de Noël que ses aspects horizontaux. On oublie alors le chant des anges qui proclame la Gloire de Dieu et nous annonce la paix sur terre.

Car nous savons bien que la paix sur terre n’est pas le résultat d’une action seulement terre-à-terre. Nous le voyons trop bien, spécialement avec la guerre en Europe. Quand nous voyons le sort terrible du peuple ukrainien, quand nous commençons à sentir les effets redoutables de l’inflation, nous nous sentons impuissants. Seul un changement profond dans l’âme des peuples et de leurs gouvernants pourrait inverser le processus qui est en cours. Nous voyons bien que ce monde qui croit ne pas avoir besoin de l’aide de Dieu et la refuse, ce monde qui vit comme un orphelin, n’est pas capable de se sauver tout seul. Nous avons la joie d’être réunis ce soir pour contempler l’enfant de la crèche et le célébrer dans l’eucharistie. Que cette joie que nous partageons malgré les épreuves de ce temps soit un témoignage lumineux qui incite à la purification des cœurs et à développer des actes de justice et de paix.

  Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères, il faut bien l’admettre, ce mystère des mystères, ce merveilleux événement de l’histoire qu’est la naissance de Jésus le Sauveur, ne paraît pas intéresser beaucoup nos contemporains. Certes, un petit bébé que l’on met au centre d’une famille aimante comme on le voit dans nos crèches reste une image touchante, l’idée d’une fête de famille et le plaisir de s’offrir quelques cadeaux sont partagés par un grand nombre. C’est devenu culturel et cela n’est pas sans importance. L’Évangile a quelque peu imprégné les cultures, spécialement grâce au mystère de Noël. Cela montre bien que l’Incarnation du Fils de Dieu n’a pas été un événement totalement oublié, totalement abstrait ni théorique. Au contraire, l’humanité est heureuse de pouvoir fêter Noël. Cela encourage à l’espérance.

Mais face au scepticisme qui s’affiche massivement aujourd’hui, j’ai envie de crier que parce que Dieu qui s’est fait homme il y a 20 siècles, nous donne, encore aujourd’hui, les forces spirituelles nécessaires à un changement profond dans nos habitudes. Et c’est une bonne nouvelle ! Le message originel de Noël n’est pas à côté des problèmes de notre temps. Encore faut-il l’accueillir et le laisser nous bousculer. C’est d’abord à nous chrétiens, de nous laisser pleinement habiter et transformer par le message de Noël pour entraîner l’ensemble de l’humanité dans le mouvement de profond changement dont nous avons besoin. Alors, mes frères, qu’est-ce que la venue du Fils de Dieu dans ce monde vient bousculer en nous ? En m’inspirant de ce qu’écrit saint Paul à Tite dans la seconde lecture de cette messe de la nuit de Noël, quand il dit que « la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes », je propose trois regards sur l’enfant Jésus en qui se manifeste la gloire de Dieu. Trois regards méditatifs qui pourront être trois conversions de nos manières d’être et de regarder. Entrons, ce soir, dans le regard du Père, dans le regard de l’Église et dans le regard du croyant sur l’enfant Jésus.

Le regard du Père. Dieu le Père regarde son Fils qui vient de naître dans la paille de la crèche. Les bergers et les anges l’adorent, Marie qu’il a choisie et Joseph qu’il a appelé le contemplent pleins de joie et d’émerveillement. Adopter le regard du Père attire notre attention sur Marie et Joseph, eux qui ont fait tout ce qu’ils ont pu, dans un contexte difficile, pour que naisse le Fils de Dieu le plus dignement possible et qu’il échappe au froid de la nuit comme aux menaces des méchants. Ils ont voulu la vie que Dieu voulait, ils ont coopéré à son œuvre de grâce. Pour cela, en accueillant la vie de cet enfant improbable, ils sont entrés eux-mêmes dans le désir de Dieu. Dieu s’est fait l’un de nous pour nous rendre capables d’accueillir la vie comme un don. Car, grâce à Dieu, nous ne sommes jamais abandonnés. Quand nos parents ont accepté de nous donner la vie, cela a été un signe que Dieu le Père a voulu notre personne. Ne pas nous croire abandonnés, c’est aussi prendre conscience de la dignité de tout homme. C’est alors « renoncer à l’impiété et aux convoitises de ce monde » comme l’écrivait saint Paul à Tite. L’impiété, c’est perdre la reconnaissance envers le Père. La piété filiale, au contraire, consiste à se savoir fils ou filles et à être reconnaissants d’avoir reçu le don de la vie. Parce que nous sommes tous fils ou filles de Dieu, chacun possède une dignité inviolable, chacun est ici-bas pour une bonne raison, chacun a un rôle à jouer, du début à la fin de sa vie. La piété filiale conduit à accueillir tout homme comme un frère, quelle que soit sa culture, son état de santé, ses idées ou ses penchants naturels parce que tout être existe par la volonté du Père. Le Père a regardé ses créatures et a vu que cela était bon (cf. Gn 1). Il aime ce qu’il y a de bon en toute créature et qui vient de Lui. Cela relativise toute forme de convoitise car les plaisirs et les belles choses de ce monde ne sont pas données pour satisfaire notre égoïsme, mais pour favoriser la fraternité, le partage entre tous. Quand le Père regarde son fils dans la crèche, il a fait de lui un frère pour nous réapprendre la fraternité.

Après le regard du Père, entrons dans le regard de l’Église sur l’enfant Jésus. L’Église sera l’épouse du Christ, appelée par lui à participer à sa sainteté. En contemplant l’Incarnation du Verbe de Dieu, l’Église est obligée de voir que Dieu a confiance en ses créatures bien-aimées, qu’il a misé sur cette humanité, tellement fragile, pour sauver le monde. Dieu fait participer l’humanité à son propre salut. L’Église qui regarde cet enfant posé sur la paille y découvre sa vocation car elle sera le Corps mystique du Christ. Et ce ne sont pas les élites de l’époque qui se sont senties proches de Dieu fait homme, mais les bergers, des marginaux vivant dans les collines, dotés d’une faible considération sociale. Cela invite l’Église à aimer aujourd’hui notre époque, à aimer nos contemporains, à chercher avec eux la justice en rendant grâce pour tout le bien qui se fait ici-bas. Saint Paul écrivait que la grâce de Dieu nous apprends à « vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété ». On retrouve ici la piété, mais comme un élément de notre condition terrestre, de notre vie dans le réel du monde présent. Apparaît ici le mot « justice », laquelle consiste à respecter l’autre et à ne pas créer de situation d’injustice. Ce n’est pas si facile. De fait, dans les crises que l’Église reconnaît traverser, il y a, à la racine, des situations d’injustice, des victimes qui n’ont pas été écoutées ni prises au sérieux, des actes injustes qu’on appelle des abus. Il y a des manques de respect pour le consentement et la liberté des personnes. Beaucoup de nos contemporains qui ont pourtant reçu le baptême et n’ont pas été abusés de façon criminelle, reprochent à l’Église, et cela depuis longtemps, de ne les avoir pas respectés. Certaines de ces personnes demandent à quitter l’Église. Elles ne voient plus quel don merveilleux leur a été fait gratuitement avec le sacrement du baptême. Un don qui ne s’efface pas et qui les relie à l’enfant Jésus quelles que soient les vicissitudes de leur vie. Regarder l’enfant Jésus avec toute l’Église, spécialement l’Église qui est en chemin de purification, nous engage peut-être à changer d’attitude en profondeur. Plutôt que de trop vite reprocher à nos contemporains leurs péchés comme si nous n’en commettions pas nous-mêmes, ne devrions-nous pas commencer par les aimer, par les considérer avec bienveillance, par voir en chacun des frères et des sœurs aimés de Dieu, des membres du Peuple de Dieu dans la mesure où tous portent déjà en eux des motifs de rendre grâce pour tout ce qu’ils essaient de faire de juste et de raisonnable ? Ce que vous avez fait à ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait dira l’enfant Jésus quand il aura grandi. Voilà le regard de l’Église sur l’enfant Jésus et sur tous ceux à qui il a voulu ressembler.

Regard du Père, regard de l’Église et aussi regard du croyant sur l’enfant Jésus. Le croyant qui voit l’enfant de la crèche y reconnaît Dieu, Dieu lui-même venu habiter l’histoire. Saint Paul écrit encore à Tite dans l’extrait que nous avons entendu ce soir, de vivre en « attendant que se réalise la bienheureuse espérance » : le retour du Christ dans sa Gloire. L’histoire, dans une vision chrétienne du monde, n’est pas tristement close sur elle-même. Elle a un but, une destinée qui est au-delà de l’histoire. Dieu nous appelle, Il nous a donné une vocation sainte. Il attend quelque chose de nous, de chacun, individuellement, homme ou femme, mais aussi Dieu attend quelque chose des peuples de la terre, au point qu’à travers les rois mages, ce sont les nations qui sont attirées vers l’enfant Jésus. La foi nous apprend que les peuples ne sont pas enfermés dans les ornières de leurs errances, de leurs guerres, de leurs violences, de leurs injustices, de leurs contraintes économiques ni énergétiques, mais ils sont appelés à avancer vers un but. Ce but est la gloire du Christ sauveur. Le croyant voit dans cet enfant de Bethléem celui qui sera le but ultime de l’histoire. Cela veut dire que les hommes, les femmes, sur cette terre ont tous et toutes une place et une vocation. Le Peuple de Dieu est inséré dans l’histoire, et son histoire à un but précis qui est en Dieu. Le Peuple de Dieu est en pèlerinage vers la Jérusalem céleste, et il « attend que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et sauveur Jésus-Christ ». Notre diocèse de Cahors a lui-même une histoire très riche de foi et de sainteté, il est marqué par sa culture, par la mémoire de grands saints comme le bienheureux Alain de Solminihac ou sainte Fleur d’Issendolus et beaucoup d’autres. Les saints et les saintes du Lot, si nombreux, manifestent que le Peuple de Dieu, formé aussi des croyants d’aujourd’hui et de demain, a une vocation sainte. Bien sûr, il est aussi marqué par le péché, par des hésitations et des tâtonnement dans sa mission d’annonce de l’Évangile, mais il connaît son but et il attend avec joie la réalisation de son espérance. De nombreux chrétiens vivent simplement leur foi dans la vie quotidienne, mais aussi dans des associations ou divers groupes fraternels et ils sont en cela de magnifiques témoins de cette présence vivante de Dieu dans l’histoire manifestée par l’enfant Jésus.

Ne pas nous croire abandonnés, aimer notre époque et reconnaître Dieu qui habite l’histoire : trois conversions que ces trois regards, le regard du Père, le regard de l’Église et le regard du croyant sur l’enfant Jésus nous incitent à vivre. Si nous adoptons ces regards et vivons ces conversions, le message de la crèche pourra être reçu en notre temps. Amen.

+ Mgr Laurent Camiade

Soutenir par un don