Vendredi saint, homélie de Mgr Laurent Camiade

Vendredi 10 avril 2020.

Mes frères,

La passion selon saint Jean présente un grand procès où les hommes, qu’ils soient juifs ou païens, font comparaître Dieu Lui-même. Jésus, le Verbe de Dieu ; par qui tout est venu à l’existence (cf. Jn 1,3 & 10), lui, la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde (cf. Jn 1,9).

Les grands prêtres interrogent Jésus sur ce qu’il a dit, mais ils ne peuvent le prendre en défaut sur ses paroles. C’est pourquoi ils le livrent à Pilate. Pilate non plus ne trouve aucun motif de le condamner à mort et décide de le faire flageller pour apaiser la colère des prêtres. Ils n’admettent pas qu’il soit le Fils de Dieu (cf. Jn 19,7). Pire encore, ce sont finalement eux qui en viennent à blasphémer lorsque Pilate leur demande « vais-je crucifier votre roi ? », ils rétorquent « nous n’avons pas d’autre roi que l’empereur » (Jn 19,15). Il y a là, bien sûr, un jeu de manipulations qui s’appuie sur la confusion entre roi spirituel et roi temporel. Mais c’est proprement le refus de l’autorité divine que ces prêtres expriment. Pilate ne s’y trompe pas et c’est pourquoi il tient à faire inscrire sur la croix « Jésus le Nazaréen, Roi des Juif » (Jn 19,19). Les prêtres de Dieu qui refusent l’autorité de Dieu sont la cause de la mort du Christ. Cela montre que le péché des hommes, celui qui nous pousse à la mort, c’est toujours, au fond, en son ultime pointe, en sa racine la plus profonde, le refus de Dieu. Dieu est mort dit le nihilisme car l’homme n’accepte plus d’autorité au-dessus de sa propre subjectivité. L’homme contemporain est ainsi arrivé à une sorte de paroxysme de ce refus de Dieu. Car le refus de Dieu n’est même plus philosophique ni cérébral, mais c’est le refus affectif et viscéral de toute confiance en une autorité supérieure.

Nous voyons bien cela dans nos rapports aux autorités politiques actuelles. Plus personne ne dirait aujourd’hui : « nous n’avons d’autre roi que le président de la République ». Car la négation contemporaine va plus loin encore : « je n’ai pas d’autre roi que moi-même ». Et comme au temps de Jésus, cette profession de non-foi est illusoire autant que blasphématoire. Illusoire parce que moi-même, je suis profondément conditionné par le système culturel et commercial dans lequel je vis. Aucun homme ne peut vivre sans relations avec les autres, sans être influencé ou sans recevoir des stimulations extérieures pour ses propres désirs. Nous croire libres par nous-mêmes est une illusion.

La distanciation sociale actuelle a ce mérite de réduire le champ des influences extérieures, de modifier nos relations et les modes de stimulation auxquels nous étions habitués. Cela peut nous aider à prendre davantage conscience de notre réelle liberté et de nos réelles dépendances. Cela peut aussi laisser plus de place en nous à l’accueil de l’influence divine. Quand la carapace de notre égo s’ouvre, la lumière de Dieu peut entrer de nouveau et nous libère.

Car ce qui doit nous frapper dans ce procès de Jésus, c’est sa liberté souveraine. Alors que tous s’agitent autour de lui pour le juger, lui demeure fidèle à son Père, jusqu’au bout. Jusqu’à ce mot qui résume son attitude «  tout est accompli » (Jn 19,30). Là, il vient d’accomplir souverainement les Écritures, d’aller jusqu’au bout de ce que les prophètes avaient annoncé, au bout du projet de Dieu qui vient libérer nos âmes.

Ce que Pilate et même les grand prêtres ont ignoré semble-t-il, c’est que l’autorité de Dieu nous libère en profondeur. L’homme moderne, lui aussi ignore cela. Il se méfie de toute autorité car il sait que, trop souvent, on lui a menti. Celui qui ne reconnaît pas Dieu, celui qui dit que le péché n’existe pas est un menteur (cf. 1 Jn 1,8). Tandis que Jésus, comme il le dit à Pilate, est venu pour rendre témoignage à la vérité (cf. Jn 18,37).

Les prêtres de Jésus-Christ se doivent aussi de rendre témoignage à la vérité et de ne jamais abuser de l’autorité spirituelle qui leur vient du Christ. Nous demeurons tous sous l’autorité libératrice de Dieu. Notre mission est de laisser la douce puissance de la parole de Dieu libérer les âmes.

La parole du Christ est libératrice car elle est vraie. Elle nous restaure dans la vérité sur nous-mêmes, sur notre condition de créature, parmi les autres créatures. L’arrestation de Jésus s’est produite dans le jardin des oliviers, figure décalée du jardin primordial de la création de Dieu. Sa mort a eu lieu également hors de la ville. Et Jean précise : « à l’endroit où Jésus avait été crucifié, il y avait un jardin, et, dans ce jardin, un tombeau neuf… » (Jn 19,41).

Tout est disposé pour la nouvelle création, pour que, de la terre, à nouveau, Dieu recrée l’homme, pour que l’homme retrouve sa place de libre créature à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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