Samedi saint - « Veillée » Pascale

3 avril 2021.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères,

La vigile pascale est l’occasion de relire calmement quelques grands textes de la bible, après avoir laissé éclater la joie de la résurrection et avant d’entendre un des récits évangéliques du matin de Pâques, cette année, celui de saint Marc. Les contraintes horaires de cette année bousculent pas mal de choses, mais nous sommes heureux de vivre cette liturgie, avec la bénédiction du feu nouveau, le chant de l’exultet et, dans un instant, la bénédiction de l’eau qui servira demain matin pour baptiser nos catéchumènes et quelques enfants.

Nous nous sommes limités à trois lectures de l’Ancien Testament, la traversée de la mer rouge, dans l’Exode, récit fondateur de la Pâque juive, et deux écrits prophétiques, Isaïe et Ezechiel. Ceci, bien sûr, avant l’épître, l’alleluia et l’évangile de la résurrection.

Le passage d’Isaïe, au chapitre 54, peut nous rejoindre particulièrement dans les épreuves que la planète vit en ce moment, avec parfois le sentiment que Dieu nous a laissés de côté. La lecture entendue n’explique pas pourquoi il est question d’un époux qui a délaissé un moment son épouse, mais si on avait lu quelques versets plus haut, on se souviendrait qu’il s’agit d’une épouse stérile. La stérilité dans la Bible est souvent présentée comme une malédiction, mais dans les évangiles, Jésus nous demande à tous une certaine fécondité : de porter du fruit. Au-delà de la fécondité biologique, il s’agit des fruits spirituels, des fruits de l’Esprit, amour, joie, paix patience, bonté, douceur, maîtrise de soi (cf. Gal 5, 22-23). Il est toujours délicat de dire pourquoi nous avons l’impression que Dieu nous a délaissés, qu’il ne s’occupe pas de nous, qu’il nous laisse nous empêtrer dans nos problèmes. Mais nous pouvons deviner qu’il existe un besoin de purification pour notre humanité, peut-être particulièrement pour nos sociétés riches qui se croyaient à l’abri des crises sanitaires, pourvues de ressources naturelles illimitées et bien équipées d’un modèle démocratique stable. Nous pensions être maîtres de notre destinée, mais nous nous sentons bousculés parce que confrontés à une incertitude croissante. Si nous ne portons pas assez de fruits, c’est-à-dire si nous ne développons pas les vertus évangéliques, amour, joie, paix, bienveillance et douceur dans les relations avec nos frères et sœurs comme avec notre terre nourricière, alors toutes ces difficultés qui nous tombent dessus sont un avertissement. Nous connaissons bien nos égoïsmes, nos replis sur nous-mêmes, nos boulimies consuméristes et nos difficultés à accueillir la vie comme à accueillir les étrangers. La réaction sanitaire a pu s’accompagner, au début, d’un élan de solidarité envers nos voisins, mais elle a accaparé aussi beaucoup de nos énergies et peut-être risquons-nous d’oublier ou de nous désintéresser des graves problèmes du monde.

Cela dit, la bonne nouvelle, pour Isaïe, c’est que cette épouse délaissée un moment, Dieu va lui être fidèle pour toujours : « Un court instant, je t’avais abandonnée, mais dans ma grande tendresse, je te ramènerai. Quand ma colère à débordé, un instant, je t’avais caché ma face. Mais dans mon éternelle fidélité, je te montre ma tendresse » (Is 54, 7-8). Ces mots, lus au moment de Pâques, semblent clairement s’appliquer à Jésus lui-même, abandonné sur la croix, mort et enseveli, mais ressuscité le troisième jour, après un court moment. Cela s’adresse aussi à tous ceux pour qui le Christ est mort et dont il a pris sur lui la misère. « Tu n’auras plus à craindre ; loin de toi la terreur, elle ne t’approchera plus » (Is 54,14). Cette promesse est aussi pour nous, même si nous ignorons la date de la réalisation complète de cette promesse. Nous savons cependant que Jésus est vivant et que c’est ce soir que nous le fêtons. C’est ce soir que nous accueillons sa joie, que nous célébrons la joie d’être sauvés.

Ezéchiel précise, quand à lui, ce qu’il y a de très intérieur dans le Salut apporté par le Christ et qui peut se réaliser immédiatement en chacun si nous entrons vraiment dans l’espérance : « de toutes vos souillures, de toutes vos idoles, je vous purifierai. Je vous donnerai un cœur nouveau, je mettrait en vous un esprit nouveau. J’ôterai votre cœur de pierre, je vous donnerai un cœur de chair » (Ez 36,25-26). Ainsi, le Salut apporté par mort et la résurrection de Jésus commence par nous attendrir le cœur, en le rendant sensible au reste du monde, en brisant la coquille de l’égoïsme. La tendresse de Dieu descend dans le cœur des croyants. Voilà une espérance annoncée par les prophètes et qui se réalise au moment de la résurrection de Jésus. C’est ainsi que saint Paul affirme : « l’homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix avec le Christ… pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus-Christ » (Rm 6,6.11). Une fois lavés dans l’eau du baptême, nous ne sommes plus enfermés en nous-mêmes, mais nous devenons, des personnes vivant pour Dieu en Jésus-Christ, c’est-à-dire partageant avec le Christ l’amour envers tous les hommes pour qui il a donné sa vie. Chrétiens, nous ne sommes pas des individus isolés, mais des êtres pour Dieu, des êtres pour tous nos frères.

Au matin de Pâques, Jésus n’est plus dans le tombeau. Les femmes effrayées voient un messager vêtu de blanc. Il leur dit : « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé ». Nous pouvons voir, à travers l’attitude de ce messager, comment Dieu s’y prend pour annoncer la Bonne Nouvelle. Il commence par rassurer « ne soyez pas effrayées ». Puis, il prend en considération la recherche de ceux à qui il s’adresse. Jésus lui-même faisait cela tout au long de l’Évangile, il répétait « n’ayez pas peur », puis il disait « que cherchez-vous ? ». Ces sont les deux premiers temps de l’évangélisation, établir une relation de confiance et d’amitié et s’intéresser aux désirs des autres, à leur recherche. Alors, vient l’annonce « il n’est pas ici, il est ressuscité ». La bonne nouvelle est surprenante, elle provoque un déplacement par rapport à la recherche naturelle de vérité, de sens ou de bonheur. Après cette annonce, le messager invite à considérer un signe de la résurrection « voyez l’endroit où on l’avait déposé ». C’est cette même invitation que l’on peut faire en proposant de voir la sainte Coiffe : voyez le linge qui a entouré sa tête. C’est un signe matériel, en creux, pour appuyer notre foi, pour nous aider à réaliser que la résurrection a été un événement qui a surgi dans l’histoire, du creux de la réalité matérielle. Après cela, le messager vêtu de blanc charge les femmes d’une mission auprès des disciples. Cette mission est très simple : « allez dire à ses disciples et Pierre : « Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit » ». Ceci indique que la rencontre avec Jésus ressuscité n’a pas besoin de traces matérielles pour se vivre, mais suppose un élan, une sortie de soi et des rencontres. La Galilée, carrefour des païens, est un pays multi-culturel, une zone de transit, un carrefour de multiples et diverses rencontres. C’est dans ce pays-là que Jésus attend les apôtres de sa Bonne Nouvelle, c’est là qu’ils le verront. C’est là qu’ils deviendront eux aussi missionnaires de la Bonne Nouvelle, mieux, c’est en s’exerçant à la mission, en allant vers les plus éloignés, qu’ils rencontreront Jésus ressuscité.

L’évangélisation n’a pas de limites d’espace ni de temps. La rencontre du Christ vivant est liée à la rencontre de nos frères. « Je vous rassemblerai de tous les pays » écrivait le prophète Ezéchiel. « Ton rédempteur s’appelle Dieu de toute la terre » disait Isaïe. Le Salut est universel et il crée un élan de rassemblement, de réconciliation avec l’humanité et même avec toute la création. Un jour, nous serons réunis dans la gloire du Père et nous ne serons plus malades, il n’y aura plus de virus ni de risque de contagion, sauf la contagion de l’amour. Nous pourrons nous embrasser et partager des repas de fête sans crainte de la moindre imprudence. Le virus de l’amour fraternel s’échangera sans crainte et sans dommage, avec l’enthousiasme du bonheur partagé. C’est cela le sens de notre existence, ce pour quoi nous avons été créés. C’est cela, la joie de Pâques. C’est cela la Bonne Nouvelle que nous sommes chargés d’annoncer au monde !

Amen. Alleluia !

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque du diocèse de Cahors

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