Ordinations diaconales de Giovanny Belmat et de Robert-Marie Beaufour

Dimanche 28 juin 2020
Cathédrale de Cahors, Vigile de la solennité de saint Pierre et saint Paul

ou sur YouTube :
https://youtu.be/vFofNRi9Zq0


Nous sommes dans l’action de grâces pour tout ce que le Seigneur nous a permis de vivre durant ces trois années passées dans le diocèse de Cahors, pour tous ceux et celles qui nous ont accompagnés de près ou de loin dans nos différentes missions, pour votre présence, votre générosité, votre fraternité qui ont favorisé notre intégration.

Nous nous recommandons à vos prières pour l’ordination ainsi que pour la poursuite de notre formation vers le sacerdoce, laquelle se déroulera dans d’autres diocèses.

Soyez bénis,
bien fraternellement,

Giovanny et Robert-Marie.


 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères, vous tous ici présents et vous, plus nombreux encore, qui nous suivez en video-transmission, de métropole ou depuis la Martinique, en ordonnant 2 diacres qui se préparent à devenir prêtres, nous pouvons nous demander pourquoi l’Église a besoin de diacres ? Le diacre est ordonné en vue du service, mais tout chrétien est appelé à servir ses frères. Alors, à quoi bon un sacrement pour ça ?

Nous comprenons facilement qu’il y a besoin de prêtres, au service du sacerdoce des fidèles, parce que sans prêtre, il n’y a plus d’eucharistie et il est très visible qu’au cœur de la vie de l’Église, il y a l’eucharistie et il en faut bien un qui prononce pour tous les paroles du Christ à la consécration. Or tous les baptisés étant appelés à servir leurs frères, pourquoi quelques-uns ont-ils besoin d’être ordonnés « en vue du service » ? Pourquoi même faut-il que des futurs prêtres soient d’abord ordonnés diacres ?

La première lecture de la messe de ce soir, vigile de la solennité des saints Apôtres Pierre et Paul, peut nous aider à mieux comprendre de quoi il s’agit.

Nous avons vu les Apôtres Pierre et Jean monter au Temple de Jérusalem pour la prière de la neuvième heure, c’est-à-dire quinze heures. En Martinique, ce n’est pas encore l’heure, mais à Cahors, nous y sommes déjà depuis quelques instants. La neuvième heure, c’est l’heure de la mort du Christ. Cette scène du livre des Actes des Apôtres se passe dans un contexte de liturgie et elle évoque sans le dire, le drame du mystère pascal de Jésus. Cela se produit sur le seuil du Temple, à la belle porte, entre la cour des païens et celle des femmes. Un infirme a l’habitude de mendier en ce lieu précis. C’est une image familière car il y a souvent des mendiants à l’entrée de nos églises. Certains d’entre nous leur donnent la pièce, d’autres peut-être détournent le regard.

Mais ce qui se passe alors n’est pas ce qu’on attendait car Pierre ne donne pas d’argent à cet homme. Il ne détourne pas non plus le regard. Il fixe les yeux sur lui. Il ne voit pas le mendiant, mais l’homme, l’homme infirme. Et il lui dit « regarde-nous ». Ceci va peut-être contre notre éducation traditionnelle qui incite à la discrétion, à ne pas chercher à se mettre en avant ni à se faire remarquer. « Regarde-nous ». C’est l’audace de l’Église, avec Pierre à sa tête, de dire à l’homme infirme : « regarde-nous ». Pourtant Pierre n’est pas un histrion. Il n’a pas l’habitude ni de porter de beaux vêtements ni de faire du bruit pour attirer les regards sur lui. C’est un pêcheur du Lac, un entrepreneur simple et discret. Et Jean qui l’accompagne n’aime pas parler de lui-même : dans son évangile il ne cite jamais son propre nom, il se désigne comme « le disciple que Jésus aimait », ainsi, c’est à partir du nom de Jésus qu’il se désigne lui-même. Et voila que ces deux Apôtres disent à l’infirme « regarde-nous ».

Il y a dans cet appel un enseignement fondamental sur ce qu’est l’Église et sur ce qu’est un sacrement. Un sacrement est un signe qu’il faut regarder et, à travers ce signe, c’est Jésus-Christ qui agit. Et voilà le diacre, ordonné en vue du service. En revêtant, lorsqu’il entre dans l’église, l’aube et l’étole en sautoir, et éventuellement la dalmatique, il dit aux hommes blessés de notre temps, « regarde-nous » afin qu’à travers nous, tu ne voies pas Pierre ou Jean, Giovanny ni Robert-Marie, mais tu voies que le Christ est venu pour servir (diaconner en grec) et donner sa vie pour toi (cf. Mc 10,45).

« Les sacrements confèrent la grâce qu’ils signifient » dit la tradition de l’Église (cf. par exemple Catéchisme de l’Église catholique n° 1127). Il faut regarder d’abord ce que signifie un sacrement pour s’ouvrir à la grâce qu’il confère.

Et ce que l’on doit attendre d’un sacrement n’est pas d’ordre matériel. « De l’or ou de l’argent, je n’en ai pas » dit Pierre à l’infirme qui mendiait ; « mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche ! ». Et Pierre le prend par la main et le relève. Il marche ! Le sacrement est un signe, souvent un geste simple et une parole.

Le geste, sans la grâce du Christ, n’aurait qu’une efficacité très limitée. S’il vous est arrivé de relever un infirme, de le prendre par la main pour essayer de le mettre debout, vous savez que ça ne va pas loin. Un infirmier le prendrait plutôt sous l’aisselle, de peur de lui arracher le bras en lui tirant sur la main. Mais le geste de Pierre est symbolique, c’est un geste d’accompagnement, le geste de celui qui sait que ce n’est pas lui qui agit pour relever l’homme, mais c’est le Christ : « au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche ! » Pierre a confiance dans la parole qu’il vient de prononcer, il n’a donc pas besoin d’en rajouter comme si son geste allait avoir, à lui seul une efficacité. Non, son geste lui-même est porteur de la foi. C’est un geste de service, un geste de diaconie envers un infirme, un geste d’accompagnement, un humble geste de soutien, par lequel il encourage l’infirme à se lever avec la force que Jésus-Christ lui confère.

Et le miracle se produit, « à l’instant même, ses pieds et ses chevilles s’affermirent. D’un bond, il fut debout et il marchait ». Alors, il entre dans le temple, marchant, bondissant pour louer Dieu.

Le ministère diaconal comporte la mission de baptiser, de faire entrer dans l’Église, de donner à l’homme la grâce de participer à la louange divine. Certains théologiens disent que le diaconat est un ministère du seuil, au service de ceux qui ont des difficultés, quelles qu’elles soient, à faire confiance à l’Église. Le diacre doit aider les infirmes de la vie ecclésiale à retrouver la joie de vivre sa foi dans la louange. Cela passe d’abord par une attention profonde aux personnes : Pierre fixe les yeux sur l’infirme avant de lui parler. Puis, le ministère diaconal se déploie à travers des gestes de charité tout simples, à travers la participation aux œuvres de solidarité et de service ordinaires des plus vulnérables.

Ne l’oublions pas, si beaucoup de nos contemporains ont du mal à rejoindre nos communautés chrétiennes ou, les ayant rejointes, s’en sont éloignés de nouveau, c’est bien à cause de l’infirmité de nos communautés. Si nous disons au monde qui nous entoure, « regarde-nous », que verra-t-il ? Verra-t-il une réelle fraternité qui laisse briller la lumière du Christ ? N’ayons pas la prétention de penser que nos défauts ne sautent pas aux yeux de tous. Les faiblesses de notre vie de foi, nos désespérances, nos manques d’amour affaiblissent (notre expérience de) la sacramentalité de l’Église. Ce dont l’Église doit témoigner aujourd’hui d’une façon très claire, c’est de son attention aux plus vulnérables et de sa charité concrète et humble. Seules ces attitudes fraternelles unies à une absolue confiance en Dieu sont significatives de ce qu’est l’Église, mystère de sainteté.

Les sacrements que nous recevons sont fiables. Ils confèrent la grâce qu’ils signifient. Mais nous qui essayons d’en vivre, nous sommes souvent des signes fragiles et nous devons bien faire comprendre que nous ne prétendons pas réaliser par nous-mêmes ce que seul le Christ Jésus a pu accomplir. C’est de son visage à Lui dont nous devons être témoins. L’audace de Pierre, lorsqu’avec Jean il fixe les yeux sur l’infirme et lui dit « regarde-nous », découle en lui de sa totale confiance en Jésus-Christ qui est sa seule richesse. « De l’or ou de l’argent, je n’en ai pas. Mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche ! »

Mes frères, il n’est pas rare que nous assistions impuissants aux désastres provoqués par le poids excessif des enjeux financiers sur nos systèmes de santé, sur la sauvegarde de la création ou sur n’importe quelle décision politique.

Le regard de bienveillance envers toute personne en situation de faiblesse devrait toujours prévaloir sur le profit des systèmes de soin. L’amitié et le respect mutuel entre les personnes devrait toujours occuper nos esprits avant le souci des chiffres et des gains financiers. La vigilance sur les interactions entre nos activités et l’environnement social et naturel devrait être une habitude de juste prudence. Mais, dans les faits, les facteurs économiques pèsent plus lourds dans les décisions que le facteur humain et spirituel. Or, même une personne malade qui reste dans son lit et va mourir a des besoins spirituels et peut être relevée intérieurement si elle fait l’expérience d’un regard attentif porté sur elle au nom de Jésus-Christ et si elle entend une parole d’espérance. Parfois même cette expérience spirituelle a des effets bénéfiques sur la santé physique ou psychique. Elle aide aussi grandement l’entourage à vivre l’heure du deuil. Mais seuls ceux qui prêtent attention aux personnes s’en rendent compte.

L’échec manifeste de la soumission au rendement de notre système hospitalier, est aujourd’hui une chance pour penser à revoir nos priorités en suivant l’exemple des Apôtres Pierre et Jean qui fixent attentivement leurs regards sur l’infirme et portent leur attention, non d’abord sur un supposé manque d’argent (« De l’or ou de l’argent, je n’en ai pas »), mais sur la globalité de la personne : « ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche ! »

Le récit des Actes des Apôtres nous dit qu’on portait cet infirme à la belle porte du Temple tous les après-midi. Nous ne savons pas qui est ce « on ». Mais peut-être s’agit-il de membres de sa famille ou d’autres personnes qui instrumentalisaient son infirmité, en attirant la pitié des passants, pour faire de lui un moyen de profit financier. Quand Pierre et Jean s’arrêtent devant lui, « il s’attendait à obtenir d’eux quelque chose » (Ac 3,5). Mais en le relevant par la puissance de Jésus-Christ, les Apôtres refont de lui un homme libre, une personne à part entière qui peut retrouver sa vocation spirituelle pour marcher, sauter de joie et louer Dieu (Ac 3,9).

La force des sacrements dans la vie des hommes, c’est d’introduire dans notre monde des gestes sans enjeu matériel qui expriment notre liberté spirituelle et la fait grandir, des gestes qui nous libèrent des esclavages modernes que sont le matérialisme et la poursuite déshumanisante du profit.

S’il y a besoin de diacres, si le sacrement de l’ordre se décline non seulement en évêques et prêtres, mais aussi en diacres, c’est bien pour signifier que le ministère des Apôtres est un service de la liberté spirituelle et de la dignité des plus fragiles. Ce ministère est porté par des hommes eux-mêmes fragiles et pauvres, mais qui comptent sur Dieu et savent que, même les œuvres humaines les plus géniales et les plus généreuses, ne peuvent pleinement relever l’infirmité humaine que par la puissance de Jésus-Christ. A Lui la Gloire pour l’éternité !

Amen

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque de Cahors.


Photographies : David Griaux et Michel Lhommelet

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