Mercredi des Cendres Homélie de Mgr Laurent Camiade

Mercredi 17 février 2021 - Cathédrale

Mes frères,

Nous entrons en carême pour préparer nos cœurs à célébrer Pâques, à célébrer la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Cette préparation à nous unir à l’œuvre de Salut de Dieu suppose de nous remettre en route vers Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Les quarante jours du carême figurent les quarante ans de pèlerinage du peuple hébreu dans le désert qui passe ainsi de l’esclavage à la liberté en se laissant guider par Dieu. « Revenez à moi de tout votre cœur » (Jl 2,12) dit Dieu par la bouche du prophète Joël (première lecture). Mettons-nous en route vers Dieu !

Revenir à Dieu, c’est sans doute d’abord prendre conscience que nous avons creusé quelque distance entre Dieu et nous. Cela peut se voir de plusieurs manières. La distance la plus repérable se mesure à notre goût et à notre fidélité dans la prière. La place de Dieu dans nos vies se matérialise par le temps que nous prenons, ou pas, pour prier. Mais notre distance avec Dieu se mesure aussi à travers les distances qui se creusent entre nous et les plus pauvres. Ou aussi les distances entre nous et l’écosystème qui nous entoure, aussi bien la société humaine que l’environnement global. Contre ces trois formes de distance, le carême, au début duquel nous lisons le chapitre 6 de saint Matthieu, nous propose de revenir à la prière, à l’aumône et au jeûne. La prière pour lui redonner une place plus importante dans le temps de notre vie ; l’aumône pour nous laisser davantage toucher par le cri des pauvres qui nous entourent en rétablissant un lien d’entraide ; et le jeûne ou les autres privations pour freiner nos tendances à ne concevoir le monde extérieur que comme une réserve disponible de biens au service de nos désirs individuels.

La prière, l’aumône et le jeûne trouvent leur authenticité dans le secret du cœur, dans cette zone de nous-mêmes que Dieu seul peut évaluer. Le mouvement de retour que nous avons à effectuer doit ainsi nous libérer du regard et du jugement des autres pour chercher à nous laisser regarder par Dieu notre Père, qui seul voit dans le secret.

Mais il n’est pas si facile de nous faire une idée juste de ce regard du Père qui nous voit dans le secret et qui nous récompensera de ne pas avoir agi pour se faire remarquer des hommes (cf. Mt 6,1). Nous pouvons avoir de fausses images de Dieu. Des images de Dieu qui le rabaissent à notre niveau, au niveau des jalousies humaines ou de nos besoins d’être remarqués et reconnus par les hommes.

Nous pouvons, par exemple, être tentés de croire que Dieu aurait tracé pour nous une route de succès et que, plus nous plaisons aux hommes (ou plus ils nous applaudissent), plus nous ferions la volonté de Dieu ! Certains s’imaginent que ce Dieu ultra-directif se mêlerait de tout dans leur vie et ils deviennent ainsi, se croyant très religieux, les esclaves de l’obligation de résultat et d’efficacité qui est prégnante dans la culture contemporaine.

Il y a dans ce domaine un malentendu très répandu sur le mot « vocation ». Nous savons que les baptisés sont tous appelés à la sainteté et à participer à la mission de l’Église. Mais cet appel n’est pas un genre de fatalité ou de destin qui ne pourrait se réaliser que d’une seule manière. Dieu a donné aux hommes une réelle liberté et il ne fait pas d’eux des marionnettes. Chercher à faire la volonté de Dieu ne nous dispense pas de faire des choix, de vrais choix. Un homme et une femme qui se marient par exemple, n’ont pas été prédestinés l’un à l’autre comme des « âmes sœurs », mais ils se sont librement choisis. Si ce choix mutuel n’était pas le fruit de leur liberté, il n’y aurait pas véritablement d’amour entre eux. Il y aurait seulement une obligation de s’accommoder le mieux possible de la compagnie de l’autre.

Mais Dieu n’est pas intrusif et il sait mesurer parfaitement l’usage de sa toute-puissance pour qu’elle soit au service de nos libertés. Dieu est amour et il nous donne la liberté de nous engager ou pas dans une amitié ou un amour les uns envers les autres, tout comme envers Lui. C’est ce choix mutuel libre qui fait grandir l’amour entre deux êtres et qui devient ainsi notre chemin de sainteté, c’est-à-dire notre réponse libre à l’appel de Dieu à aimer et à vivre cet amour dans le don de soi toujours plus généreux et toujours plus libre du regard des autres. Se persuader que nous subissons la fatalité de la volonté d’un autre est toujours un frein à l’amour. Ce n’est pas ce que Dieu veut. Mais il nous révèle son désir et son projet pour que nous puissions choisir de l’aimer et d’aimer notre prochain en lequel il s’identifie et s’offre à aimer.

Tous les appels adressés par Dieu dans l’Église sont des appels à grandir et à faire grandir dans l’amour et dans la liberté. Il n’y a ni fatalité ni destin pré-écrit, mais la joie de se donner parce que Dieu se donne à nous et attend notre réponse libre. Dieu nous a créés charnels, c’est-à-dire incarnés, avec toute l’autonomie de notre condition de créatures. Cela nous donne une responsabilité pour vivre notre vie et tracer nos routes en ce monde. Mais Dieu notre Père ouvre aussi notre horizon par sa proximité avec nous et le Salut qu’il nous offre. Dans le livre de Joël, il est dit que « le Seigneur s’est ému en faveur de son pays ». Dieu ne contraint pas notre liberté mais il ne nous abandonne pas non plus à nos faiblesses, il se laisse toucher au cœur, émouvoir par son peuple qui traverse les épreuves.

C’est ainsi que nous comprenons que la seule image de Dieu parfaite, c’est Jésus-Christ lui-même. Lui dont le cœur transpercé contient chacune de nos blessures. Jésus a révélé l’amour du Père en donnant sa vie pour nous sur la croix.

Mes frères, alors que nous traversons l’épreuve d’une pandémie qui perturbe tous nos modes de vie et provoque toutes sortes de souffrances et d’angoisses, qui suscite des divisions et des réactions de peur, ne percevons-nous pas, au milieu de ces événements troublants, un appel à aimer plus ? Dans ces événements, les occasions de prier plus dans le secret, de faire davantage l’aumône dans le secret, de jeûner et de cultiver une sobriété de vie dans le secret ne manquent pas ! L’appel à revenir à Dieu de tout notre cœur est au centre de toute vocation humaine. Il s’adresse à nous aujourd’hui pour purifier l’image que nous nous faisons du Père. Il est un Père qui nous créés libres, Il nous appelle à aimer et à témoigner de son Amour infini manifesté par Jésus sur la croix, et Il se laisse émouvoir par nos détresses, il a pitié de son peuple. Revenons à lui de tout notre cœur !

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

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