Homélie de Mgr Laurent Camiade

Mercredi 2 février 2022
Carmel de Figeac

La présentation de Jésus au Temple aurait pu passer inaperçue. Le Temple de Jérusalem, comme à son habitude, grouillait de monde et Marie et Joseph étaient deux parents ordinaires, venant présenter leur offrande et consacrer leur premier-né. Personne n’aurait pu s’apercevoir de rien. C’est ainsi que Dieu s’est fait homme, reconnu en tout comme semblable aux hommes. Le prêtre éternel qu’est le Verbe fait chair semble, à première vue, s’offrir au Père à la manière humaine d’un petit juif parmi des milliers d’autres.

Mais dans ce Temple, il y a deux vieillards, un homme et une femme, Syméon et Anne, qui attendent la consolation d’Israël (Lc 2,25), qui espèrent le Messie et à qui Dieu donne de voir ce que les autres ne voient pas : cet enfant ordinaire est le Salut que Dieu a préparé à la face des peuples, lumière pour éclairer les nations païennes. Face aux difficultés de la vie, on peut être tenté de rechercher la première consolation venue, mais on est vite déçu. Cela ne dure pas et peut même augmenter le sentiment d’angoisse. Car Dieu seul peut vraiment nous consoler. Mais surtout, il serait dommage d’avoir peur de laisser Dieu nous consoler. Le pape François disait un jour à des séminaristes et des novices : « J’ai rencontré quelquefois des personnes consacrées qui ont peur de la consolation de Dieu, et… les pauvres, ils se tourmentent, parce qu’ils ont peur de cette tendresse de Dieu. Mais n’ayez pas peur. N’ayez pas peur, le Seigneur est le Seigneur de la consolation, le Seigneur de la tendresse.” (Homélie aux séminaristes et novices, Basilique vaticane, 7 juillet 2013). La tradition biblique, c’est d’attendre la consolation de Dieu, mais tout le monde n’est pas dans cette attitude, soit parce qu’on est occupé à autre chose, soit parce qu’on se croit déjà comblé de tout ce dont on a besoin pour vivre, soit qu’on croit pouvoir trouver par soi-même ou par d’autres moyens humains toutes les solutions à nos problèmes, soit parce que notre orgueil nous pousse à refuser de nous laisser aimer par le Dieu de tendresse. Le vieillard Syméon n’a pas peur de recevoir dans ses bras l’enfant qui est le fils de Dieu, gloire d’Israël. Le Salut promis ne se présente pas comme une idéologie ni comme une vérité brutale, mais comme la tendresse d’un petit enfant qui vient illuminer la vie d’un vieillard (qui avait gardé cette espérance au plus profond de son cœur). Comme l’enseignait l’Imitation de Jésus-Christ, l’amitié avec Jésus est ce à quoi nous sommes appelés par-dessus toute autre consolation : « Vous ne sauriez vivre heureux sans ami ; et si Jésus n’est pas pour vous un ami au-dessus de tous les autres, n’attendez que tristesse et désolation. » (Imitation, livre II. 8,3). Oui, Jésus est notre ami, au-dessus de toute autre consolation. Sa lumière est discrète comme un enfant parmi des milliers d’autres présentés au Temple de Jérusalem, mais sa tendresse est profondément sensible pour ceux qui ouvrent leur cœur et qu’il est venu sauver du péché et de la mort.

La vie consacrée consiste à recevoir du Christ nos principales consolations. C’est donc un acte fondé sur une réalité invisible et très discrète, mais source de grande joie : la joie du royaume de Dieu inauguré par le Christ. Ceux qui ont entendu l’appel à consacrer toute leur vie au Seigneur le font parce qu’avec le regard intérieur de leur âme, ils ont vu ce que les autres ne voyaient pas, ils ont été illuminés par la lumière intérieure du Christ qui a rempli de joie tout leur être. Et tant qu’ils persévèrent dans ce regard intérieur qui voit la lumière, ils trouvent leur joie dans le cheminement de leur vocation. Et parce qu’ils cherchent sans cesse le visage du Dieu de tendresse et se laissent illuminer par cette lumière intérieure, ils deviennent des signes pour le reste des hommes. Leur vie consacrée perdrait son sens s’ils ne voyaient pas l’invisible, s’ils l’avaient perdu de vue.

Bien sûr, il y a aussi la nuit spirituelle, comme dit saint Jean de la Croix, il y a les épreuves et les purifications de la vie spirituelle. Mais précisément, la nuit obscure provient d’un excès de manifestation de Dieu, d’une lumière aveuglante qui, pendant un temps plus ou moins long, produit un aveuglement, comme lorsqu’on allume subitement la lumière au petit matin en sortant du lit et qu’on n’arrive pas encore à ouvrir grand ses yeux qui étaient accoutumés à l’obscurité et la froideur de la nuit. Mais celui qui garde les yeux ouverts sur la lumière du Christ, même encore aveuglé, sait de façon certaine où le conduit cette lumière. Elle l’aide à devenir davantage docile à l’Esprit-Saint, même s’il ne peut le mesurer immédiatement. Et, faisant la relecture de l’événement, l’Évangile de saint Luc n’hésite pas à dire de Syméon qu’il est venu au Temple « par l’action de l’Esprit Saint » (Lc 2,27).

On peut remarquer aussi que Syméon et Anne reconnaissent immédiatement le Sauveur sous les traits du petit Jésus parce qu’ils connaissent et scrutent les Écritures, ils s’en laissent imprégner par une vie de prière ardente. Il n’y a pas beaucoup de mots dans leur bouche, mais ces mots —ce sont surtout ceux de Syméon qui sont rapportés dans l’Évangile— sont d’une densité exceptionnelle : « Tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix selon ta parole » (Lc 2,29). « Selon ta parole » : la parole de Dieu est pour lui l’objet d’une confiance totale. Il a fait sienne la prophétie de Malachie : « soudain viendra dans son Temple le Seigneur que vous cherchez. Le messager de l’Alliance que vous désirez, voici qu’il vient » (Ml 3,1). Et il a reçu la révélation qu’il ne mourrait pas avant la réalisation de cette promesse des Écritures.

Quand à la prophétesse Anne, elle sait avec certitude qui est Jésus, de sorte qu’elle « proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem ». Ce qui m’a toujours frappé chez cette vieille femme (84 ans, ce n’est pas si vieux, après tout !), c’est que non seulement elle connaît les Écritures et reconnaît sa réalisation dans la personne de l’enfant Jésus, mais encore, elle connaît le peuple de Jérusalem, elle ne se met pas à parler à n’importe qui, mais « à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem » (Lc 2,38). Elle sait ce qu’il y a dans le cœur de ses contemporains. Cette première visite, si discrète, de Jésus dans le Temple ne va donc pas passer inaperçue. Grâce à cette femme, « tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem » en auront entendu parler. Tous ceux qui, comme elle, ont un cœur ouvert et qui désiraient la venue imminente du Sauveur entendront le message de la consolation.

Cette première annonce du Salut par la voix d’une femme préfigure la première annonce de la résurrection par la voix de Marie-Magdeleine. Elle annonce aussi le rôle important des femmes dans la communication de la foi tout au long de l’histoire de l’Église. Combien de mamans, de dames catéchistes, de religieuses ont été des prophétesses faisant connaître la lumière du Christ, le Verbe fait chair ? Dans nos itinéraires de foi, nous pourrions tous citer des noms, des prénoms féminins, qui ont joué un rôle décisif dans l’éveil de notre foi et de notre joie de croire en Jésus-Christ notre Sauveur.

Les femmes consacrées, en particulier, sont des annonces vivantes du royaume de Dieu. Nous ne saurions jamais en rendre suffisamment grâces à Dieu ni leur exprimer assez notre reconnaissance. Dans son exhortation apostolique sur la sainteté, le pape François cite comme exemple vivant et lumineux de sainteté dans l’Église militante « les religieuses âgées qui continuent de sourire » (Gaudete et exultate n.7). Autant de prophétesses Anne qui communiquent ainsi, par un simple sourire, la lumière du Seigneur.

Merci mes sœurs pour ce que vous êtes, ce dont vous témoignez. Et n’ayez jamais peur d’éprouver la tendresse et la consolation de Dieu, n’oubliez jamais la lumière et la joie qui vous font vivre !

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque de Cahors

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