Homélie de Mgr Laurent Camiade

Dimanche 7 mars 2021.
Paroisse Saint-Martin en vallée d’Olt

Mes frères,

Jésus purifie le Temple et en chasse les marchands. Avec vigueur, il renverse les tables de trafic installées dans un lieu sacré. Cette scène évangélique peut nous étonner, mais elle se rapproche aussi de certaines choses que vit aujourd’hui notre Église et notre société.

L’Église, pas plus que la société, ne s’attendait, il a encore quelques décennies, à ce que l’on dénonce avec netteté et de façon douloureuse pour nous, tous les abus sexuels, les abus spirituels, les abus de pouvoir. Cette culture des abus avait pénétré toute la société mais aussi l’Église, ce qui est un scandale plus grand encore que pour tous les autres. Lorsqu’il pervertit le pouvoir spirituel reconnu et institué dans l’Église, l’abus est comparable au sacrilège des marchands du Temple qui utilisaient le sacré à leur bénéfice personnel et faisaient de la Maison du Père une Maison de trafic. Entre le dévoiement du sacré au temps de Jésus et le dévoiement de l’autorité cléricale dans les dernières décennies, il existe un certain parallélisme.

A Jérusalem, les marchands vendaient des bœufs, des brebis et des oiseaux pour le sacrifice. Cela pouvait se comprendre pour des raisons pratiques. Mais ce que Jésus leur reproche, c’est de s’être installés dans le Temple même « vous avez fait de la maison de mon Père une maison de commerce ». Ils mélangent le commerce avec le culte. Ils dénaturent ainsi le domaine du sacré, le domaine de la rencontre avec Dieu.

Pour Jésus le sacrifice de la croix ne sera pas un marchandage, mais un amour qui s’offre gracieusement du Fils au Père de tendresse, pour rétablir la fraternité humaine dans sa dignité d’image de Dieu, à savoir sa liberté d’aimer gratuitement.

Il faut bien s’imaginer la scène et toute la surprise de ces hommes installés là et qui ont dû s’y mettre peu à peu, de petite concession en petite concession. Tout le monde trouvait ça commode. Personne ne disait rien. Et quand Jésus intervient, tandis qu’il agit de façon somme toute très juste et très logique, tous sont surpris et même lui demandent de se justifier : de quel droit ? Quel signe peut légitimer ces actes qui ressemblent à de la colère ?

Cette surprise, ces réactions d’incompréhension, l’Église les a vécues ces dernières années, depuis que de nombreux abus ont été montrés au grand jour. Certains d’entre nous, pensent peut-être encore que tout ça est exagéré et que ce sont des ennemis de l’Église qui s’acharnent contre nous sous prétexte de quelques dérapages ici ou là. Bien sûr, il serait très injuste d’oublier que la grande majorité de nos prêtres ne sont ni des prédateurs ni des manipulateurs. Ils sont d’humbles serviteurs du Christ et de l’Église. Mais la réalité comporte aussi une certaine récurrence de fautes graves. Et cela dans pratiquement tous les pays et tous les diocèses. Aussi, l’épreuve que nous traversons peut être regardée à la lumière de cet épisode de l’Évangile : Jésus, sans prévenir, chasse des hommes ayant détourné le culte de Dieu au service de leurs propres envies. Il chasse ces profiteurs indignes en les fouettant avec des cordes.

Car dans les abus sur mineurs commis par des personnes investies d’autorité spirituelle par l’Église, il y a deux choses, très graves l’une et l’autre. La première chose très grave est commune avec tout acte pédocriminel, c’est d’abîmer la réalité sacrée qu’est l’innocence des enfants. Jésus lui-même avait montré que le royaume de Dieu est à ceux qui ressemblent aux petits enfants (Mc 10,14). Et il dénonce sévèrement celui qui scandalise un petit dans sa foi (Mc 9,42). Car la seconde chose grave, c’est qu’en usant de l’autorité spirituelle, souvent dans le cadre de la confession ou en introduisant des distorsions dans le langage spirituel sur l’amour, sur le corps livré du Christ ou d’autres choses semblables, en pervertissant ce qui est sacré, c’est l’accès même des victimes à Dieu qui se trouve entravé, semé d’embuches, de contradictions et de pièges insupportables. Le langage même des sacrements, les gestes comme les paroles, devient pratiquement inaudible pour ces victimes, et cela pendant des années ou même toute leur vie. Il faut bien, alors, que Jésus vienne purifier son Église. Qui d’autre le ferait ? Et elle en a tellement besoin !

Mes frères, même si nous ne connaissons peut-être pas tous de près des situations graves d’abus, il ne faudrait pas que nous pensions que cela ne nous concerne pas. Nous devons, en voyant Jésus fouetter les marchands du Temple, nous examiner nous-mêmes. Nous, les ministres ordonnés en premier, car nous avons la charge impressionnante de donner les sacrements. Mais aussi tous les baptisés qui sont des temples du Saint-Esprit et ont la mission de témoigner de l’amour gratuit de Dieu, de son amour désintéressé pour tout homme, surtout les petits et les vulnérables. Soyons vigilants, gardons-nous de toute forme d’opportunisme au détriment des autres. Examinons la pureté de nos relations, et de nos regards sur les autres. Le respect de l’autre, de sa liberté, de son intégrité physique et morale, doit demeurer pour tout baptisé un devoir sacré. Cela fait partie de ce que Jésus attend de nous quand il fait de nous des frères. Se servir des autres pour soi, pour son plaisir ou pour satisfaire son ego est toujours malsain. La prise de pouvoir, l’abus commence par de toutes petites choses, des choses de la vie ordinaire, des indélicatesses ou de petits manques de respect. C’est comme les marchands du temple : ils n’ont pas dû se retrouver à l’intérieur du sanctuaire en une seule fois, mais sans doute après plusieurs étapes, plusieurs petites compromissions avec leur sens de Dieu. Peut-être même y a-t-il eu un effet de surenchère, de concurrence, chacun voulant être le plus près du centre des opérations. Il me semble que les pervers et les lâches ne le deviennent que peu à peu, étape par étape, et cela, tant que personne ne vient leur taper sur les doigts ou leur donner de salutaires coups de fouet !

Mes frères, nous avons tous la responsabilité de ne pas déformer l’image de Dieu qui est imprimée en nous. Tout homme et toute femme, créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, sont appelés à aimer comme Dieu nous aime, à bénir et à faire grandir la liberté de leurs enfants et de leurs frères, comme Dieu fait pour nous. « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t’a fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autre Dieu en face de moi » (Ex 20,2-3) dit Dieu à son peuple, par l’intermédiaire de Moïse. Toute notre vie devrait rendre vivantes les Paroles divines. Même si nous savons que cela ne se fera souvent que dans l’imperfection, nous savons aussi que chaque fois que nous cessons de vivre dans le respect et la confiance en ce Dieu de bonté, chaque fois que nous oublions de nous laisser animer par ses paroles, nous déformons son image et nous commençons à pervertir un tant soit peu le temple de Dieu que nous sommes.

Bénissons le Seigneur qui purifie son Église ! Même si les coups sont douloureux, ils seront salutaires et ils montrent que rien n’est jamais définitivement perdu pour Jésus. « Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours » (Jn 2,19). Voilà une parole d’espérance ! Je le relèverai en trois jours ! Que cette parole nous soit source de joie et de confiance.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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