Homélie / Appel décisif des catéchumènes

Dimanche 1er mars 2020.

Mes frères, chers amis,

L’Église fait retentir ce soir dans cette cathédrale l’appel au baptême.

C’est le Seigneur qui nous appelle au Salut, qui nous appelle à la vie nouvelle des enfants de Dieu. En ce début de carême, cet appel résonne à travers un examen de conscience. L’évangile nous présente trois tentations éprouvées par Jésus et dont Jésus a été victorieux pour que nous soyons victorieux nous aussi, pour que, nous aussi, nous résistions aux tentations et sachions nous relever si jamais il nous arrive de tomber encore.

L’Église est en train de devenir minoritaire dans notre pays. Elle semble perdre de son influence, perdre de sa capacité de rassembler des foules, perdre même, parfois, de sa crédibilité. Les péchés, parfois très graves, de certains membres de l’Église abîment considérablement son rayonnement. Nous demeurons porteurs d’un message d’espérance, de vie et de liberté, mais nous donnons parfois l’impression que ce message est brouillé par des forces de chute fatale, des forces de mort et des forces d’aliénation.

L’Évangile de la victoire de Jésus sur les tentations nous est alors d’un grand secours. La première lumière de cet évangile vient de ce que Jésus, le Verbe fait chair, n’a pas fait semblant de rejoindre notre humanité, il s’est affronté aux mêmes tentations que nous. La tentation des appétits et du matérialisme, la tentation du désespoir et du suicide, la tentation de la domination et de la quête de toute-puissance.

Nos communautés chrétiennes minoritaires, nos petites assemblées, le petit nombre des rescapés peuvent sans doute être moins tentés de se croire tout-puissants en face du monde ; le caquet de nos tentations d’arrogance est largement rabaissé. Néanmoins, l’appel du Seigneur à l’espérance, à la vie et à la liberté n’est pas moins fort.

1/ La première tentation, celle de « faire que ces pierres deviennent du pain », celle de satisfaire immédiatement tous nos appétits, la tentation la plus matérialiste, si nous y cédons, si nous prétendons rendre l’Évangile plus facile, moins austère, si nous cédons à la tentation de nous réfugier sans limite dans les plaisirs de ce monde, nous devenons insignifiants. Nos petites communautés chrétiennes, si elles se confondent par leur style de vie et leur éthique, avec n’importe quelle association profane, n’importe quel club de rencontre ou de loisirs, deviennent insignifiantes. De quelle espérance pouvons-nous témoigner si nous mettons notre espoir dans cette vie seulement, si nous ne cherchons que le bonheur terrestre, sans distance, sans recherche d’un bien supérieur, sans nous mettre à l’écoute de la parole de Dieu pour nous ajuster à un projet qui nous dépasse ?

Il y aurait beaucoup à dire sur ce point. Je ne citerai que deux exemples. D’abord, l’exemple des motivations de la sobriété dans notre contexte de prise de conscience écologique. Beaucoup commencent à se dire qu’il faut limiter notre consommation, non pas pour accéder à un niveau plus élevé que la seule préoccupation matérielle, mais pour économiser les ressources de la planète dont le gaspillage conduit à la catastrophe. La question du sens de la vie, de ce qui a vraiment du prix pour nous, de ce qui fait le cœur de notre humanité paraît souvent complètement évacuée de ces débats. Seules des préoccupations matérielles devraient motiver le jeûne ? Le jeûne du carême a, au contraire, pour vocation de nous libérer l’esprit, de nous faire prendre conscience que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui vient de la bouche de Dieu. Si nous, chrétiens, ne savons pas témoigner de ce qui motive vraiment notre sobriété de vie, si nous ne savons pas valoriser les riches dimensions de la vie spirituelle, nous devenons une minorité insignifiante. Le second exemple, c’est le fameux débat récent (mais en réalité qui sent un peu le réchauffé) sur le célibat des prêtres dans l’Église latine. Voilà précisément un signe qui exprime que l’homme ne vit pas seulement de plaisirs matériels, mais que ce qui remplit la vie d’une personne, c’est le don de soi désintéressé. C’est là un signe précieux pour notre temps, un choix qui n’est pas facile mais qui a du sens et, même s’il est critiqué, qui garantit justement nos communautés minoritaires de ne pas être insignifiantes, mais au contraire capables de transformer notre environnement.

2/ La seconde tentation, « jette-toi en bas », celle du découragement, du désespoir ou du suicide, celle de la démission est la tentation de ceux qui ont oublié qui ils sont. « Il est écrit, tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu » répond Jésus. Il sait très bien qui il est. Il ne se laisse pas prendre au piège de celui qui lui propose une sorte d’ordalie, une mise à l’épreuve de son identité et de son destin. Le tentateur lui cite de manière fausse les Écritures « jette-toi en bas car il est écrit : il donnera pour toi des ordres à ses anges et ils te porteront sur leurs mains pour que ton pied ne heurte les pierres ». C’est là aussi la tentation quiétiste, de ceux qui disent : puisque Dieu seul sauve, à quoi bon se fatiguer, laissons Dieu agir ! C’est le faux abandon, la caricature de la croix du Christ. Pour nos petites communautés chrétiennes, la tentation est de baisser les bras, de se dire qu’on ne peut plus rien faire, qu’il n’y a qu’à attendre passivement la mort du dernier catholique.

Certains vont jusqu’à dire que les valeurs chrétiennes ont été désormais relayées par la démocratie et que l’Evangile a fini sa mission de transformation de l’histoire, qu’il n’aurait plus rien à dire pour l’avenir. D’autres, souvent sous l’influence de courants de pensée des religions de l’Inde, imaginent que le temps est venu d’une religion universelle qui transcenderait les religions grâce à la spiritualité. Mais cette « méta-spiritualité » n’est jamais définie et aucune vérité ne s’en dégage, aucun sens, et, finalement, assez peu de consistance concrète, assez peu de force pour résister durablement aux conditionnements de la société de consommation. Or, Dieu s’est révélé à nous, il a un nom et nous appelle par notre nom. Il est notre Père et fait de nous ses fils. Il ne se dissout pas dans le vide et ne veut pas nous dissoudre dans un tout indéfini. Il ne nous fait pas oublier d’où nous venons. Notre histoire, nos origines, nos racines ont du prix à ses yeux et Il vient nous sauver avec tout ce que nous sommes. Il promet de ressusciter notre chair.

3/ Enfin, la troisième tentation est celle du pouvoir qui est en réalité un culte rendu à Satan. Vouloir dominer le monde, dominer les consciences de nos frères, maîtriser l’histoire, planifier le réel, c’est vouloir prendre la place du Dieu créateur et Providence. Cette tentation malheureusement, est celle qui a fait le plus de mal à l’Église lorsqu’elle était en position de force. Mais lorsque nous sommes aujourd’hui une minorité, nous pouvons encore avoir cette nostalgie de la domination, de l’hégémonie, du pouvoir sur les consciences, de la gloire et du succès des projets ambitieux.

L’Église qui veut dominer se souvient, certes, de son identité et ne veut pas être insignifiante. Elle veut communiquer son message à tous. Mais son inflexibilité la rend incapable de régénérer la société. Elle s’enferme dans les oppositions frontales et ne peut que s’isoler de plus en plus. Pour devenir une minorité créative, l’Église doit consentir à ne pas être tout dans la société contemporaine. En acceptant d’être une partie de ce monde, elle peut s’y intégrer réellement et le transformer de l’intérieur, simplement en vivant les exigences de l’Évangile, en apprenant au contact des autres à purifier nos relations. Dieu se sert aussi des non-chrétiens pour nous éduquer à vivre des liens respectueux et aimants avec tous et des liens respectueux et bienveillants avec l’environnement, avec toutes les créatures.

Mes frères, les catéchumènes présentés aujourd’hui en vue de leur baptême sont en train de faire ce chemin d’entrée dans une minorité appelée à transformer ce monde avec la créativité que lui inspire sa vie dans l’Esprit Saint. Prions pour eux et pour ceux qui les accompagnent. En ce début du carême, que leur témoignage aide nos communautés à rester signifiantes, à se souvenir paisiblement de leur identité et à aimer ce monde.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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