Dimanche des rameaux

10 avril 2022 - Cathédrale.
Homélie de Mgr Laurent Camiade

Mes frères,

Avant d’entrer dans la liturgie de la Passion du Seigneur, nous avons acclamé le Christ notre roi, comme l’avaient fait les disciples à son entrée à Jérusalem : « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur » (Lc 19,38). Nous reprenons cette acclamation à chaque messe avec le chant du Sanctus. C’est le chant, introduit par une longue préface à la louange du Père, qui exprime le plus fortement dans la liturgie de l’Église, la transcendance de Dieu et la divinité du Christ. Il n’est pas simplement cet homme humilié qui a souffert la Passion, il est aussi Celui qui vient, car il n’est pas de la terre, il est du ciel, il est venu dans l’Incarnation pour traverser la mort, puis ressusciter pour notre Salut. Il viendra dans la gloire à la fin des temps. Il vient sans cesse à notre rencontre, pour nous mettre en relation pure et vraie avec Dieu. L’eucharistie, particulièrement la consécration du pain et du vin, réalise de façon visible et réelle sa venue pour nous sauver. Il se donne à nous en nourriture, il se rend présent réellement parmi nous.

Nous avons entendu dans l’Évangile la contradiction qui suit aussitôt quand Jésus est proclamé roi par ses disciples : fais-les taire ! «  Réprimande-les » (19,39) disent les pharisiens. La réponse de Jésus est marquante : « Je vous le dis, si eux se taisent, les pierres crieront ! » (19,40). Car Dieu désire plus que tout se révéler aux hommes en son Fils éternel. C’est la mission de l’Eglise, une mission qui lui est propre et qui ne s’arrêtera jamais : acclamer le Christ notre Roi de gloire. Voir, même dans sa passion et donc, mêmes dans les épreuves de nos vies, des expressions de sa gloire et de sa divinité.

Entre le début de l’évangile des Rameaux et la fin de la Passion selon saint Luc, il y a une expression qui revient : « personne encore ». « Vous trouverez un petit âne attaché sur lequel personne encore ne s’est assis » (19,30) : c’est sur cet âne que Jésus va entrer triomphalement à Jérusalem. Puis, après sa mort : Joseph d’Arimathie « l’enveloppa dans un linceul et le mit dans un tombeau taillé dans le roc, où personne encore n’avait été déposé » (Lc 23,53). L’ânon, comme le tombeau et sans doute aussi les linges qui enveloppent le corps de Jésus sont des réalités qui lui ont été comme réservées, destinées à son unique usage. Outre les règles de pureté rituelle qui sont sans doute derrière cette exclusivité, cela indique que Jésus est quelqu’un de radicalement nouveau, quelqu’un comme personne encore. Un Dieu fait homme, il n’y en a pas eu avant lui ni après lui. Dans les mythologies anciennes il existe des demi-dieux ou des dieux déchus. Mais jamais aucun Dieu fait homme, aucun être vrai Dieu et vrai homme, dont l’incarnation ne diminue pas la divinité, dont la divinité n’écrase pas l’humanité mais la glorifie, au contraire. « Béni soit celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur ». Cette exclamation est valable avant la Passion comme elle le sera après. Et les linges de la Passion, comme la Sainte-Coiffe dont nous pensons avoir le privilège de la conserver à Cahors dans cette cathédrale, sont eux-mêmes des signes, à l’instar du tombeau vide, de ce « personne encore », de cette originalité absolue du Christ Jésus qui produit dans le cosmos un choc, un avant et un après Jésus-Christ. Jésus-Christ vient révéler l’amour du Père, il l’avait dit à ses disciples, « Tout m’a été remis par mon Père. Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père ; et personne ne connaît qui est le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler » (Lc 10,22) La Nouveauté du Christ, c’est qu’il connaît et révèle le Père.

C’est la mission de l’Église d’annoncer qui est Jésus. Ainsi, le petit âne est-il une figure humble du disciple qui porte sur son dos le Christ parce que « le Seigneur en a besoin » (Lc 19,31 & 34). C’est répété deux fois dans le texte de l’Évangile : « le Seigneur en a besoin ». Il faut nous souvenir de cela : Dieu a voulu avoir besoin des petits ânes que nous sommes ! Même si nous ne comprenons pas exactement ce qui signifie le mystère de Jésus vrai homme et vrai Dieu, le Seigneur a besoin que nous portions ce mystère, que nous le proclamions, que nous acclamions notre Roi. Et parmi ces disciples appelés à proclamer la divinité du Christ, certains sont inattendus comme ce Joseph d’Arimathie qui avait loupé le rendez-vous de l’histoire. C’était, en effet, un homme juste, membre du Conseil des Judéens mais qui fut absent dans la nuit du jeudi au vendredi saint et n’avait donc pas pris part à la condamnation du Seigneur. Or, il a très bien su, lui aussi, honorer le Roi défunt et lui offrir une sépulture digne d’un roi, ce tombeau vide ou personne encore n’avait été mis et qui est aujourd’hui visité chaque jour avec vénération par des milliers de gens depuis près de deux millénaires. C’est aussi lui qui a fourni ces linges mortuaires, comme probablement la Sainte-Coiffe dont nous avons la garde et dont des analyses récentes montrent qu’elle est tissée de la manière la plus soigneuse et précieuse qui ait pu se faire… et il est accompagné par des femmes, disciples de Jésus elles aussi, peut-être l’une d’entre elle a-t-il réalisé ce tissage minutieux.

Retenons ceci, frères et sœurs, tout disciple de Jésus-Christ est appelé à proclamer que Jésus est le Sauveur, le Roi des Roi et le Seigneur des Seigneur, à le bénir et à louer Dieu pour son amour et sa tendresse infinis envers nous, pauvres ânes, pas toujours là aux moments décisifs de l’histoire humaine, mais disponibles pour poser des gestes purs et réserver au Seigneur ce que nous avons de meilleur. Si nous ne proclamons pas cette joie de croire, les pierres crieront a dit Jésus. Le tombeau vide, taillé dans le roc, crie depuis 2000 ans que le Christ Sauveur est vivant.

Alors n’ayons pas peur de crier avec lui.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque du diocèse de Cahors

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