2° dimanche de Pâques 2020 - Divine miséricorde

Dimanche 19 avril 2020
Homélie de Mgr Laurent Camiade

Dans l’évangile nous voyons Jésus souffler sur ses disciples, puis il leur dit « Recevez l’Esprit Saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, il seront maintenus » (Jn 20,22-23).

Le geste, d’abord, peut nous interpeller. « Jésus souffla sur eux ». Car c’est précisément celui que nous nous interdisons en portant des masques et en respectant une distance de plus d’un mètre. Notre souffle risque en effet d’être infecté par ce virus qui, lui-même, se fixe sur les voies respiratoires et pourrait nous faire perdre souffle.

Pourtant nous savons bien que ce geste de souffler est repris dans la liturgie, en particulier lors de la messe chrismale —qui n’a pas encore été célébrée cette année dans notre diocèse. Pour la bénédiction du Saint-Chrême, l’évêque souffle sur l’huile parfumée, rappel de ce geste symbolique fort de Jésus. Et ce geste évoque aussi le second chapitre du livre de la Genèse. On y voit l’origine de l’histoire humaine. Lorsque Dieu ayant modelé l’homme avec la poussière du sol, il souffle dans ses narines pour lui transmettre le souffle de vie (cf. Gn 2,7). Le péché a rendu l’homme mortel et il faut que le nouvel Adam, le Christ, relevé d’entre les morts, vainqueur de la mort, souffle de nouveau sur l’humanité pour redonner la vie qui n’aura pas de fin à ceux dont le souffle est pollué par les virus de leurs vices et des germes de mort répandus dans toute la création.

Là se manifeste la miséricorde divine. Dieu a pitié de notre misère. Il n’a pas été indifférent à nos malheurs. Au contraire, Il a pris sur lui les conséquences du mal commis par les humains pour leur redonner le souffle de vie.

Une chose ne doit pas nous échapper dans ce passage biblique, c’est que ce geste symbolique fort n’est pas accompli devant les foules, en public. Pas plus que le Christ ressuscité n’est apparu à tout le peuple, la force de renouveau vital du Christ ressuscité n’est communiquée directement à tous. Il la confie, en quelque sorte, à ses apôtres fidèles, pour qu’ils la transmettent : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie » (Jn 20,21). Les onze (puisque Judas était mort) n’étaient même pas au complet ce jour-là, Thomas était absent. Cela rappelle le jour où Moïse a transmis une part de son esprit aux anciens d’Israël mais, deux d’entre eux étaient dehors et ils se sont mis à prophétiser aussitôt à l’extérieur (cf. Nb 11,24-26). Ce qui montre le paradoxe entre le fait que Dieu choisit explicitement d’agir par des intermédiaire mais qu’il peut très bien faire sans eux s’il le décide. D’ailleurs, ceux qui ont vécu Pâques cette année en célébrant l’eucharistie ont été très peu nombreux, mais cela n’a pas empêché Dieu de faire grâce à qui il voulait, comme il voulait.

Pourtant, le Christ ressuscité a manifesté son choix de ne pas apparaître à tous en même temps et de confier la tâche du témoignage et du pardon des péchés à ses Apôtres. «  Recevez l’Esprit Saint, leur dit-il. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, il seront maintenus ». C’est ainsi que les prêtres sont investis d’une mission voulue par Dieu, non par nécessité de sa part mais par choix, parce qu’aux yeux de Dieu, certainement, cela est meilleur pour l’humanité. Cela rappelle, de fait clairement, que pour sauver les hommes, Dieu s’est fait homme. Même après sa résurrection et son ascension, le Christ veut continuer d’agir par des hommes.

D’où l’importance des ministres de la miséricorde que sont les prêtres. D’où notre responsabilité de prier le maître de la moisson de continuer d’envoyer ces ouvriers pour sa moisson. D’où notre prière, chaque jour, pour que les prêtres restent fidèles à leur mission et qu’ils aient le courage, en ces temps troublés, de continuer à intercéder pour le peuple et à offrir aux pauvres, aux malades et aux pécheurs la miséricorde de Dieu. L’accès aux chambres des mourants est compliqué, en cette période de confinement, mais sur la demande des familles, cela reste le plus souvent envisageable. Aussi est-il de notre devoir à tous, de faire ce qui est possible pour que les prêtres accomplissent leur mission de pardonner les péchés avec les sacrements de guérison, l’absolution et l’onction des malades. Si ce n’est pas possible, Dieu tiendra compte de notre intention et de notre désir et donnera sa grâce, même à travers les distances de sécurité.

L’Église catholique demande aux fidèles de se confesser au moins une fois par an et de communier, si possible au moins au temps pascal. Nous ne savons pas encore ce qui sera possible lorsque débutera le dé-confinement, mais il est important pour les fidèles de ne pas renoncer à la perspective de vivre ce sacrement de la miséricorde. Il sera important aussi pour les prêtres, comme une priorité pastorale, de se rendre disponibles dès que cela sera réalisable. Sûrement, les fidèles auront plus que jamais besoin d’être écoutés après cette période de distanciation qui est une épreuve pour nous tous.

Nous avons cette certitude, Dieu agit dans cette épreuve. Sa miséricorde ne nous fait pas défaut et Il attend de nous des fruits de conversion et un accroissement de notre amour fraternel, spécialement envers les plus fragiles.

Un signe nous est donné dès aujourd’hui de la miséricorde divine à l’œuvre : c’est le regard émerveillé de toute notre nation et peut-être du reste du monde, sur les gestes de miséricorde corporelle que suscite paradoxalement cette situation de distanciation. Tous les gestes, même peu risqués, en direction du bien d’autrui sont appréciés. Ils n’apparaissent plus comme un dû puisque les professionnels peuvent faire valoir leur droit de retrait, mais comme un dévouement gratuit. Ainsi, ce qu’il y a de meilleur dans l’homme peut s’exprimer lorsque l’on se porte à aider les autres, à participer à la survie économique de la patrie. Les soignants aussi sont fortement reconnus parce qu’ils sont les plus exposés. Et l’inventivité et la bienveillance ressortent aujourd’hui davantage que la mesquinerie et l’égoïsme, même s’il faut sans doute encore beaucoup mener en nous-mêmes ce combat contre les forces de repli. Nous voyons que notre peuple portait en lui des réserves d’énergie spirituelle dans l’ordre des œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger à ceux qui ont faim ; donner à boire à ceux qui ont soif ; vêtir ceux qui sont nus ; accueillir les pèlerins ; assister les malades ; visiter les prisonniers ; ensevelir les morts. Cela montre que souffle de l’esprit n’est pas éteint dans notre culture et cela est source de joie et d’espérance. Comme Thomas devant les plaies du Christ ressuscité, laissons-nous toucher et émerveiller : « mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28)

Amen

Mgr Laurent Camiade
évêque de Cahors

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