1er dimanche de l’Avent, homélie de Mgr Laurent Camiade

Dimanche 29 novembre 2020
Gourdon

Mes frères,

Quand le Seigneur viendra, « il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis » (Mc 13,36) dit Jésus !

L’Avent porte chaque année ce message de veille, de vigilance et d’attente : nous n’attendons pas tout de cette terre, mais nous attendons tout du Christ, qui vient nous rejoindre chaque jour, dans l’eucharistie, dans sa Parole, dans son Église (quand elle peut nous accueillir) et dans la charité fraternelle vécue, spécialement envers les plus petits. La condition pour accueillir le Christ qui vient, c’est qu’il ne nous trouve pas endormis, anesthésiés, paralysés par la paresse ou par nos lâchetés. « Il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis ».

Cet appel, cette provocation est facilement audible quand tout va bien et que nous savons exactement ce que nous avons à faire. Lorsqu’arrive un moment de crise, c’est souvent plus compliqué. On peut traverser des phases de sidération qui nous paralysent. En cette période de pandémie, on peut même être entouré de personnes qui nous exhortent chaque jour à rester enfermé chez soi, à hiberner, à ne pas jouer les héros avec présomption. Alors, la question qui peut venir, c’est celle du prophète Isaïe (1° lecture) : « Pourquoi Seigneur nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? » (Is 63,17) Ce n’est pas une question anodine. Pourquoi Dieu nous laisse-t-il errer ? Nous voyons bien toute l’incertitude dans laquelle nous sommes plongés depuis le début de cette année 2020. Beaucoup réagissent dans un sens ou dans un autre, affirmant qu’ils savent quoi faire. D’autres se taisent. Beaucoup restent perplexes. Nous allons, venons, confinons, déconfinons, reconfinons, en distantiel, puis en présentiel, avec masque, gel hydro-alcoolique… et puis on réduit l’activité à l’essentiel, mais qu’est-ce que l’essentiel ? Et puis on rouvre les commerces, justement le 28 novembre, jour de la journée mondiale sans achat ! Mais on ne peut être que 30 à l’église, le jour où Jésus nous dit d’être prêts à l’accueillir quand il vient… Il y a de quoi y perdre le bon sens. « Pourquoi Seigneur nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? »

Mais il y a plus profond dans l’interrogation d’Isaïe : « Pourquoi Seigneur nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? » Voilà une question plus tranchante encore. Certaines traductions disent : « Pourquoi endurcirais-Tu nos cœurs pour ne pas te craindre ? » Cette question ne se pose pas d’hier. Ce n’est pas la question de 2020, c’est la question déjà un peu ancienne de notre christianisme qui se sécularise de plus en plus parce que nos cœurs s’endurcissent, n’ont plus la mémoire de l’amour de Dieu et ne craignent plus Dieu.

Avoir peur de Dieu et l’imaginer comme un vieux grand-père à la barbe hirsute, acariâtre et sévère, ça, c’est assez facile. Mais craindre Dieu ? Avoir en nos cœurs le don de crainte ? Craindre, dans la tradition biblique, ce n’est pas avoir peur, c’est percevoir la gravité, le sérieux d’une situation. Craindre Dieu, c’est craindre de Le perdre. Je crains Dieu si réellement je crains de m’éloigner de Lui. Si je crains sincèrement de ne pas répondre à son amour. En ce sens, alors, il y a bien de quoi craindre Dieu, précisément parce qu’Il nous aime tellement que nous voyons bien que nous sommes assez peu capables de répondre à son amour —à la hauteur du don reçu ! On ne peut répondre à cet amour qui s’est livré totalement pour nous sauver que par un engagement total de soi. Et ça, c’est un sujet de crainte ! Pourtant, il suffit de laisser notre cœur être délicatement touché par l’amour divin pour qu’il s’ouvre et que nous commencions, nous aussi, à aimer d’un véritable amour de charité. Alors, si nous nous laissons saisir par cela comme en a été saisi le prophète Isaïe, la vraie question sera bien : «  Pourquoi laisser nos cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? »

Et Isaïe connaît si bien l’amour de Dieu ! Il sait que Dieu vient « rencontrer celui qui pratique avec joie la justice » (Is 64,4). Mes frères, voilà une clé pour répondre à l’amour de Dieu. Il ne s’agit pas simplement d’un mouvement affectif, d’une émotion forte. Il s’agit d’une action accomplie avec joie, la joie d’un amoureux, la joie, ici précisément de « celui qui pratique la justice ». C’est la seule condition pour répondre à l’amour de Dieu, pratiquer avec joie la justice.

Bien sûr, ce n’est pas toujours facile de savoir exactement ce qui est juste. Mais si nous le cherchons sincèrement, si nous laissons notre cœur ouvert, surtout aux plus petits en lesquels Dieu se laisse trouver, il n’y a plus qu’à agir selon la justice, pratiquer la justice. Protéger le faible, accueillir l’étranger, nourrir ceux qui ont faim, prendre soin de ceux qui ont été blessés, etc. Cela n’a rien d’une naïveté molle : pratiquer la justice demande un engagement clair. On peut se tromper. Mais c’est la recherche sincère du bien qui compte, avec un cœur qui ne se laisse pas endurcir, qui ne s’enferme pas en lui-même.

Cela sera toujours un mystère : pourquoi Dieu laisse à nos cœurs la liberté de s’endurcir, de se replier sur des idéologies destructrices ? Mais c’est là que doit s’exercer pour nous le don de crainte : craindre ce risque d’enfermement dans la nuit qui nous priverait d’accueillir celui qui peut venir « à minuit, au chant du coq ou le matin » (Mc 13,35).

Le pape François dit que « L’espérance est la vertu d’un cœur qui ne se renferme pas dans l’obscurité, qui ne s’arrête pas au passé, qui ne vivote pas dans le présent, mais qui sait voir le lendemain. Pour nous chrétiens, que signifie le lendemain ? C’est la vie rachetée, la joie du don de la rencontre avec l’Amour trinitaire » (Message au festival italien de la Doctrine Sociale de l’Église, nov. 2020).

Quand le Seigneur viendra, « il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis ». Ouvrons nos cœurs à sa venue, pratiquons avec joie la justice.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque du diocèse de Cahors

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