Pâques 2020 - Homélie

Mgr Laurent Camiade

Fêter Pâques, c’est sortir de la peur !

Bien sûr, il ne s’agit pas de retomber dans les imprudences du passé. Cette année, nous savons même que notre temps pascal va être très bizarre.

Que le temps du carême soit une occasion de revenir à l’intérieur de nous-mêmes, cela n’est pas totalement absurde. Mais que le temps de Pâques, lui aussi, soit à vivre dans la distance et le confinement, cela n’est pas normal !

Pour savourer la joie de Pâques, nous avons besoin de communiquer cette joie à nos frères. Heureusement, le soleil est là et le printemps nous aide, les oiseaux partagent leurs chants généreux avec nous, comme pour nous dire que, oui, notre ralentissement actuel est bien en faveur de la vie.

Nous savons aussi combien notre ingéniosité humaine a su jusqu’ici réagir de bien des manières à la situation sanitaire. Nous savons que bien des personnes se dévouent, dans les hôpitaux, les maisons de santé, les lieux d’accueil, dans les associations d’entraide où il a fallu rajeunir les équipes de bénévoles. Nous voyons que les relations se développent sur les réseaux qui tournent à plein régime, avec des messages, des visioconférences, des vidéos mises en ligne, des textes diffusés. Et il y a aussi ceux qui savent imprimer et transmettre les textes et les messages d’espérance et d’amitié à ceux qui n’ont pas accès à l’internet. Tout cela montre par bien des signes que l’égoïsme n’est pas le dernier mot de l’homme du XXI° siècle, bien au contraire ! Nous savons que nous avons besoin les uns des autres et nous savons vivre en frères et sœurs.

Ces jours-ci, le monde moderne fait l’expérience de sa fragilité. Nous faisons tous et chacun l’expérience de notre vulnérabilité. Et c’est pour nous une grande leçon de vie. Quand la mort nous guette de près et que nous expérimentons l’isolement, nous comprenons, mieux que jamais, que nous n’avons pas été créés pour la mort ni pour l’égoïsme, mais pour vivre et pour aimer. Ainsi, la résurrection de Jésus peut réellement devenir une expérience déjà réelle pour nous dans ce temps, même si le confinement et le danger se prolongent.

Pâques c’est sortir de la peur ! sortir du tombeau comme Jésus, quitter la mort, quitter le tombeau comme Marie-Madeleine et l’autre Marie qui étaient venues de bon matin et n’ont rien trouvé comme elles s’y attendaient. Saint Matthieu, dans son récit, évoque des manifestations spectaculaires avec un certain humour. Il parle d’un ange qui descend du ciel, roule la pierre et s’assoit dessus. J’ai toujours imaginé cet ange, assis sur la pierre du tombeau vide, regardant les femmes avec un air goguenard, l’air de quelqu’un qui veut savourer la surprise dans le regard des femmes : quelle tête elles vont faire quand elles vont voir que le tombeau est vide ! Mais tout de suite, il les rassure : « soyez sans crainte ! » Pâques c’est sortir de la peur : « Soyez sans crainte, dit l’ange, je sais que vous cherchez Jésus le crucifié, il n’est pas ici car il est ressuscité comme il l’avait dit » (Mt 28,5-6).

Mais avant de partir, il est bon de s’approcher un peu du tombeau. L’ange continue : « Venez voir l’endroit où il reposait ». Venez ! Voyez ! Il faut regarder de près, prendre le temps de réaliser que la résurrection de Jésus n’est pas un tour de passe-passe. Jésus n’est pas un illusionniste. Constatez, scientifiquement, que le tombeau est vide. Les femmes auraient pu en rester aux effets spéciaux de l’ange lumineux comme l’éclair ou à son sourire goguenard lorsqu’il s’assoit sur la pierre du tombeau. Mais non ! il faut qu’elles regardent de plus près, qu’elles ne soient pas seulement témoins d’une émotion ni d’une expérience subjective mais bien d’un fait réel, vérifié, constaté : le tombeau est vide.

Ainsi, nous-mêmes, alors que nous fêtons Pâques, nous ne perdons pas des yeux le lieu de la mort, le danger objectif, les mesures sanitaires qui s’imposent. Nous ne perdons pas de vue ceux qui souffrent le plus, ceux qui vont mourir et pour qui nous prions. Il y a ceux qui vont mourir dans la foi et ils savent qu’ils vont revivre en Jésus-Christ. Il y a aussi ceux qui meurent dans l’angoisse en se disant que c’est trop bête, que c’est injuste ou en traversant le doute et la peur du néant. Il y a tous ces malades pour qui l’a souffrance est trop prégnante pour parvenir à poser un acte de foi conscient ou qui ont été endormis et ne peuvent regarder ce moment en face. Il y a tous ceux qui ne savent pas, qui n’ont pas eu la chance d’entendre la bonne nouvelle de l’espérance. Il y a encore aujourd’hui ces victimes des guerres, des persécutions, des razzias ou aussi des violences conjugales. Il y a ces milliers d’enfants qui meurent dans le ventre de leur mère et dont Dieu connaît les noms. Toutes ces terribles réalités, il faut les regarder à la lumière du tombeau vide de Jésus, avant d’aller proclamer qu’il est vivant et qu’il nous offre à tous la vie éternelle. Cela fait partie de la mission de l’Église de prier chaque jour pour le salut de tous ceux pour qui personne ne prie, pour que le Seigneur accueille chaque être, coupable ou innocent, dans la lumière de sa vie et dans la joie du paradis.

Aussitôt, dès que les femmes quittent le tombeau vide, leur expérience fait d’elles des témoins qui doivent transmettre un message : « vite, allez dire à ses disciples : "Il est ressuscité d’entre les morts, et voici qu’il vous précède en Galilée ; là, vous le verrez" ». Dès qu’elles quittent le lieu de la mort pour s’acquitter de cette mission, les femmes voient Jésus ressuscité qui vient à leur rencontre. Ceci est important : c’est en s’engageant avec foi dans la mission, que l’on rencontre le Christ ressuscité. Il nous rejoint dès que nous sommes en route pour annoncer la bonne nouvelle. Il ne s’impose pas, mais il vient à la rencontre de ceux qui se lancent sans crainte, dans la confiance. Chaque fois que nous nous risquons pour témoigner du Christ et de sa vie plus forte que la mort, nous sommes en position de le rencontrer vivant, de voir grandir notre foi et de sentir sa présence de manière nette et directe.

Mes frères, si ce temps pascal est bizarre et plein de retenue dans nos relations sociales, peut-être faut-il que notre témoignage en la vie plus forte que la mort en soit d’autant plus intense, d’autant plus profond, d’autant plus habité et rayonnant, chaque fois que nous en avons l’occasion. Nos contemporains s’interrogent : est-ce la fin du monde ? ce virus est-il le résultat d’un complot ? allons-nous perdre définitivement nos libertés ? comment surmonterons-nous les effets économiques de la crise sanitaire ? Toutes leurs angoisses qui sont aussi les nôtres peuvent se changer en espérance si nous savons nous-mêmes laisser la joie du Christ ressuscité traverser les zones obscures de nos âmes pour tout illuminer de la bonne nouvelle du matin de Pâques :

N’ayez pas peur ! Il n’est pas ici, il est ressuscité, il vous attend dans ce monde pour l’y rencontrer et faire rayonner son amour et sa joie ! Alleluia !

Mgr Laurent Camiade,
évêque de Cahors

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