Dimanche de Pentecôte - Homélie de Mgr Laurent Camiade

Dimanche 31 mai 2020

Mes frères,

C’est une joie de pouvoir célébrer à nouveau ensemble la messe en ce jour de Pentecôte. Notre célébration a des allures encore assez étranges avec la distanciation physique que nous respectons en vue du bien commun et de la protection des personnes les plus vulnérables.

J’ai l’impression que la privation des sacrements pendant ce temps de pandémie et de confinement a pu réveiller chez beaucoup de personnes la soif spirituelle. En tout cas, nous avons pu davantage prendre conscience de ce qui nous manquait. C’est une des grâces de ce temps d’épreuve.

Celle-ci survient en même temps qu’un sentiment d’insécurité, de vulnérabilité, avec une prise de conscience de la fragilité de nos techniques et de nos systèmes. Ce sentiment est inconfortable, comme le sont les tâtonnements d’un aveugle dans un environnement inconnu. A cela s’ajoute, pour ceux qui en ont été touché de près ou de loin, la grande souffrance de n’avoir pas pu accompagner des personnes en fin de vie, parties dans la solitude vers la maison du Père. Si tout cela nous pousse à nous serrer davantage les coudes (il paraît qu’on peut se saluer en se donnant un coup de coude !), ce ne sera pas une expérience vaine. Si tout cela, en fin de compte, nous stimule pour nous tourner vers Dieu et pour prier davantage, nous en recevrons beaucoup de joie.

Car les épreuves de nos parcours humains nous façonnent. Elles ne sont pas fatalement des chemins de chute. Elles peuvent susciter des réactions saines, des élans vers plus de vie et plus d’amour. Ainsi va le mystère de Pâques : en passant par l’épreuve, la souffrance et la mort, le Christ ressuscite et nous ouvre la vie éternelle. Ressuscité, Jésus apparaît à ses disciples et leur montre ses mains et son côté. Il leur montre ses blessures car elle sont la marque de son amour vainqueur du mal, de son pardon, de sa force vitale qui n’a pas répondu au mal par le mal, mais a choisi d’assumer ce mal et de le remplir de son amour. Il souffle alors sur ses disciples et les invite à recevoir l’Esprit Saint pour avoir la force de pardonner le mal. Le pardon est la victoire suprême sur toute forme de mal.

L’Esprit Saint nous permet de remporter la victoire dans le combat spirituel. Jésus l’appelle le « Paraclet », autrement dit le « Défenseur » ou « l’Avocat ». Il n’est pas une interface numérique ni une intelligence artificielle mais bien une personne divine, le Dieu Très-Haut qui vient habiter nos cœurs, avec un infini respect pour notre liberté, avec une totale patience envers nous. Il ne fera rien en nous sans notre consentement profond.

Le temps de la méditation, du silence, de la mise en présence de Dieu est nécessaire pour voir clair dans ce qui compte vraiment pour nous, pour faire le tri et discerner entre ce qui correspond à nos désirs profonds, ce qui nous est proposé par Dieu et ce qui nous est suggéré par de mauvais esprits. Notre Avocat, l’Esprit Saint éclaire ces obscurités intimes et nous offre d’exister en aimant davantage, en sortant de nos torpeurs égoïstes pour nous ouvrir à ce pour quoi nous avons été créés : louer et servir Dieu, aimer notre prochain, vivre d’amour.

Il y a un autre effet de l’Esprit Saint en nous. C’est le dynamisme missionnaire.

Dans la mission du jour de Pentecôte, il y a deux phénomènes extraordinaires. Le premier est le courage de l’annonce de la résurrection du Seigneur. Les disciples avaient peur et se cachaient. Désormais ils ne se cachent plus, ils osent annoncer leur foi. Mieux, cette annonce jaillit de leur bouche spontanément, sans calcul, sans réelle préparation, mais en laissant éclater leur enthousiasme. En laissant l’Esprit Saint Lui-même parler dans leur bouche.

Et le second phénomène extraordinaire, c’est que tous les entendent dans leur propre langue et les comprennent. Nous disons souvent que certains aspects du message de la foi (la résurrection, la fidélité de l’amour, le pardon, la vocation de l’Église) sont aujourd’hui devenus inaudibles dans une culture sécularisée, individualiste et hyper-technicienne. Mais nous pouvons croire au contraire que si nous nous laissons remplir de l’Esprit Saint, nos paroles seront entendues et comprises, même dans les cultures les plus hermétiques a priori à un tel message.

Ce miracle du jour de Pentecôte ne se produit pas forcément tous les jours de façon aussi spectaculaire, mais il nous montre ce que Dieu attend de nous comme missionnaires de la foi : traduire, sous la motion du Saint-Esprit, la bonne nouvelle de Jésus dans toutes les langues et les cultures. La bible et le catéchisme sont déjà traduits dans la plupart des langues les plus utilisées. La parole de Dieu est proclamée sur toute la terre. Mais reste à se faire vraiment comprendre, ce qui est toujours une expérience spirituelle à partager avec nos interlocuteurs, dans de vraies rencontres, dans des expériences de dialogue des cultures et d’amitié mutuelle.

Cela demande toujours du courage d’entrer en relation avec des peuples qui ne vivent pas comme nous, qui n’ont pas les mêmes repères culturels. L’Esprit Saint, pas plus que des premiers disciples de Jésus, ne fait pas de nous des juges des diverses cultures. Mais comme pour ses disciples le jour de Pentecôte, il fait de nous des êtres de relation capables de rencontrer avec audace toutes les cultures, d’apprendre à les connaître et à les aimer sans nous y égarer, sans y perdre notre foi, pour faire entendre à chacun dans sa propre langue, dans son propre mode d’expression l’unique vérité du Christ, Dieu fait homme pour sauver les hommes.

L’exercice du dialogue commence souvent au cœur même de nos assemblées chrétiennes. Car elles sont réellement un reflet de la société actuelle, relativement métissée et où se croisent de nombreux réseaux plus ou moins exclusifs les uns des autres. Il suffit de voir la diversité de perceptions qui se manifeste en cette période de déconfinement où le nombre de personnes qui pensent savoir ce qu’il faut faire, ce qu’il aurait fallu faire ou ce qu’il faut éviter paraît se multiplier. Les options variées qui pourraient être des objets de débat deviennent vite des objets de mépris et d’exclusion. La recherche d’une compréhension mutuelle est le chemin que l’Esprit Saint nous indique.

Il est sûr que si nous recherchons cette synergie, l’Esprit de Dieu pourra amplifier et démultiplier les fruits de nos efforts. Comme les disciples qui priaient ensemble et d’un même cœur au Cénacle, nous aurons la joie de partager de plus en plus avec le reste du monde le même désir du Bien.

Amen.

Mgr Laurent Camiade,
évêque de Cahors

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