Assomption de la Vierge Marie, 15 août 2019 - Rocamadour

Homélie de Mgr Laurent Camiade

Marie, à la fin de sa vie terrestre a été élevée au ciel dans son âme et dans son corps. C’est cet événement mystérieux que nous célébrons aujourd’hui. Il nous pousse à élever notre regard vers le ciel, vers ce que le passage de l’Apocalypse que nous venons d’entendre appelle «  le sanctuaire de Dieu qui est dans le ciel » (Ap 11,19).

Le livre de l’Apocalypse présente des visions foisonnantes qui nous suggèrent au fond que le ciel de Dieu n’est pas une réalité si éloignée de ce que nous vivons. «  Le sanctuaire de Dieu qui est dans le ciel s’ouvrit ». Le ciel de Dieu n’est donc pas définitivement clos sur lui-même. Il ne demande qu’à s’ouvrir, à nous communiquer le mystère de Dieu et à nous offrir la possibilité d’entrer dans ce sanctuaire.

La première chose que l’on voit quand s’ouvre le ciel, dit encore ce passage de l’Apocalypse, c’est l’Arche de l’alliance. Dieu, en effet, a d’abord rejoint l’humanité en faisant alliance avec elle. Les tables de la Loi données à Moïse, la possibilité de connaître la volonté de Dieu et de la suivre, tout cela a été révélé aux prophètes de la première Alliance et cela n’est pas aboli. Le Christ Jésus est venu ensuite, non pour abolir, mais pour accomplir cette Loi, pour mener cette première Alliance à son accomplissement. Il a repris d’ailleurs à son compte, souvent en les radicalisant, les préceptes de l’ancienne Alliance, il est venu en proclamant comme les prophètes et Jean-Baptiste juste avant lui « convertissez-vous car le Royaume de Dieu est proche ». Les exigences de l’Évangile sont souvent radicales, d’autant plus radicales que celui qui les énonce les vit radicalement. Il peut nous dire « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » car son amour ira jusqu’au don total de sa propre vie. Dieu, en sa Parole faite chair, ne se dérobe pas à l’exigence de l’amour à laquelle il nous appelle, il se donne, il s’anéantit lui-même par amour.

Mais ensuite, le texte nous dit qu’après la vision de l’Arche d’Alliance, un grand signe est apparu dans le ciel : « une femme ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles ». Qui est cette femme ? L’Église, sans aucun doute et également, la bienheureuse Vierge Marie qui est la figure, le modèle parfait de l’Église. C’est parce que ce texte décrit cette vision céleste de la Vierge Marie que la liturgie nous en a proposé la lecture en ce jour où nous fêtons Marie qui monte aux cieux. Cette vision s’applique d’abord à l’Église car c’est la vision douloureuse d’un enfantement qui est comme une torture. C’est l’Église qui, à travers le sang de ses martyrs enfante le Christ, révèle et donne le Christ au monde dans la douleur et dans la torture. Ce n’est pas cette vision-là que nous avons de la naissance de Jésus à Bethléem qui fut un moment paisible et joyeux, même sans péridurale. Les souffrances de la Vierge Marie sont toutes liées à celles de son fils Jésus, dans l’abaissement et les tortures de sa passion et de sa croix. Cette souffrance de compassion rejoint ainsi toutes les souffrances de tous les hommes et de toutes les femmes du monde et de l’histoire, elle rejoint nos souffrances et celles de l’Église quand elle est persécutée, ou même trahie de l’intérieur à cause des péchés de ses propres membres.

La vision de l’Apocalypse ne dit pas autre chose puisqu’il est bien question de la menace du grand dragon qui veut dévorer l’enfant, qui s’oppose au projet de Salut de Dieu. C’est l’ennemi de Dieu qui se manifeste ainsi, dans sa difformité défiant toute représentation : avec ses sept têtes et ses dix cornes. L’Église est sans cesse confrontée à cette menace du diable et à ses attaques. Mais Dieu est plus fort et il protège son fils, le berger des nations, il ne permet pas que son œuvre de Salut échoue ni que le peuple tout entier s’égare. C’est là une consolation immense : le berger de toutes les nations, le Christ, ne peut être vaincu. Ceux qui mettent en lui leur confiance, ceux qui regardent vers lui ne peuvent pas désespérer même dans les moments les plus tragiques de l’existence.

Pendant ce temps, précise encore le texte, la femme s’enfuit au désert. Dans l’histoire de Jésus, nous connaissons l’épisode de la fuite en Égypte où Joseph prend l’enfant et sa mère et ils échappent à la persécution d’Hérode. Mais cet exil se poursuit aussi de différentes manières dans l’histoire de l’Église. C’est souvent que les fidèles du Christ se sentent dans un désert spirituel. La prière est parfois difficile à maintenir fidèlement, la vertu est un combat, les milieux que nous fréquentons sont parfois si éloignés de la foi ou si durs, avec des contraintes de rendement écrasants, des paroles méchantes, des ambiances malsaines… C’est alors le désert, le sentiment d’être loin de Dieu, loin de toute consolation, loin de toute oasis réconfortante.

La femme de l’Apocalypse a dû fuir au désert, comme l’Église parfois doit faire profil bas dans des contextes défavorables ou parce qu’elle est sur un chemin de purification. Mais il y a toujours cette consolation : lorsque nous sommes dans le désert, la Vierge Marie est avec nous. Sa compassion nous enveloppe de sa douceur maternelle. Ici à Rocamadour, la Vierge Marie a voulu être vénérée d’abord par des ermites comme saint Amadour, au bord d’un précipice, au creux d’une vallée desséchée qui coupe en deux un Causse austère et caillouteux. Elle montre ainsi comment elle est avec l’Eglise, avec le peuple de Dieu qui souffre des tortures et des menaces du diable. Marie est là, avec nous, dans le désert de l’Église. Elle est notre mère et elle ne nous abandonne pas à nos dragons intérieurs ou extérieurs.

« La femme s’enfuit au désert où Dieu lui a préparé une place ». Car c’est cela le secret de la Vierge Marie : être là où Dieu lui a préparé une place. C’est tellement rassurant d’être là où Dieu nous a préparé une place. Nous pouvons rêver de tant de choses mais pouvons-nous rêver mieux que d’être là où Dieu nous a placés, d’être dans la main de Dieu, d’être sous la protection du manteau de la Vierge Marie ? Quelle que soit notre vocation, le Seigneur nous a préparé une place dans son Église et dans son sanctuaire céleste. Cela souligne le fait que chacun d’entre nous, les laïcs ou les religieux ou les ministres ordonnés, nous devons participer activement l’évangélisation. Chacun apporte sa pierre, ses initiatives et ses réflexions, dans un esprit de communion et de fidélité aux paroles du Christ.

Mes frères, l’assomption de la Vierge Marie est un mystère extrêmement consolant. Si Marie, à la fin de sa vie terrestre est montée au ciel, auprès de Dieu, dans son âme et dans son corps, cela veut dire qu’il existe une facette de la mort qui n’est pas dramatique. C’est le passage vers une autre dimension de l’existence, dans laquelle tout notre être pourra être restauré. Cela veut dire aussi que si Marie se trouve là où Dieu lui a préparé une place, nous avons nous aussi, ainsi que tous ceux à qui nous tenons, nous avons une place préparée pour nous, nous avons du prix aux yeux de Dieu. Et, si nous avons le courage d’habiter la place où nous sommes, même si c’est un refuge au milieu d’un désert, nous pouvons compter sur la tendresse maternelle de la Vierge Marie.

Ceci dit, une place au désert n’est jamais une sine cure. Il va de notre dignité que nous soyons engagés dans l’œuvre de Salut et dans la réalisation de la victoire du Christ. Nous laisser conduire par le berger des nations « les conduisant avec un sceptre de fer », ce n’est pas compatible avec la paresse ni avec le confort et la facilité. Le bonheur ici-bas ne se confond pas avec les suggestions fausses du dragon qui détruit le tiers du cosmos. La victoire du Christ sur la mort et sur le péché nous engage à poursuivre en nous-mêmes ce combat de toutes nos forces en comptant toujours davantage sur sa grâce.

Si nous perdons de vue le ciel parce que nous ne prions plus, si nous négligeons les commandements de Dieu qui sont conservés dans l’Arche de la première Alliance, si nous sommes sourds à l’appel de Jésus-Christ à nous aimer les uns les autres comme il nous a aimés, la Vierge Marie ne pourra pas agir à notre place. Elle n’agit pas à la place des cœurs endurcis. Le sanctuaire de Dieu qui est dans le ciel est ouvert, mais c’est à nous de lever les yeux et de le laisser imprimer dans nos âmes le chemin de la sainteté. Nous ne sommes pas seuls, l’Église est là pour nous avec ses sacrements, avec la Parole dont elle témoigne et avec l’immense foule des saints. La Vierge Marie veille sur nous et intercède pour nous. Laissons-nous aimer et sauver par Dieu.

Amen.

Mgr Laurent Camiade
Evêque de Cahors

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