Saint Jean-Gabriel Perboyre

Dimanche 11 septembre 2022 - Montgesty

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Mes frères, bien qu’il ait eu l’occasion déjà de faire aimer Jésus aux novices Lazaristes, le père Jean-Gabriel Perboyre continuait de porter en lui un immense désir d’annonce de l’Évangile. En entrant dans la « congrégation de la mission » fondée par saint Vincent de Paul, il avait rêvé de partir au bout du monde témoigner de la ferveur de charité que Dieu avait allumé en son âme. Nous savons qu’il finira martyr en Chine. Il était prêt à cela et voulait donner toute sa vie pour imiter Jésus et ainsi le faire connaître et aimer.

Cela nous invite à nous demander nous-mêmes, sommes-nous habités du désir de faire connaître et aimer Jésus-Christ, l’unique Sauveur, celui par qui nous avons la vie et la promesse de l’éternité bienheureuse ? On parle beaucoup de mission aujourd’hui parce que le monde dans lequel nous vivons ici-même en France, dans le Quercy est redevenu un pays de mission, notre peuple en terre de France est redevenu un peuple à évangéliser. Nos contemporain, nos proches, ceux que nous rencontrons chaque jour au travail, dans les commerces ou les lieux de vie sociale, dans nos propres familles même, ignorent le Christ ou bien en savent si peu sur lui qu’ils n’imaginent pas qu’il puisse leur apporter grand chose d’autre qu’un simple exemple de générosité et de pacifisme. Qui est Jésus pour toi ? Si nous osons poser cette question aux gens que nous rencontrons, les réponses sont souvent désabusées ou creuses.

Mais la mission de saint Jean-Gabriel Perboyre n’a pas été non plus une annonce facile, ni une expérience de grand succès. Cela aurait pu même paraître comme une folie d’aller annoncer l’Évangile en Chine, tandis que son propre jeune frère, missionnaire avant lui en Chine, y avait laissé sa peau, victime d’une fièvre cérébrale non soignée, tandis qu’on savait le danger de la persécution dont le père Clet avait été victime 16 ans avant l’arrivée de Jean-Gabriel. Et les supérieurs de Jean-Gabriel étaient très réticents à l’envoyer, connaissant sa santé relativement fragile. Devant son insistance et, sans doute aussi, les besoins des petites communautés chrétiennes discrètes qui vivotaient en Chine, ils finirent par prendre ce risque au début de 1835. C’était une folie, un projet dont l’efficacité était bien loin d’être garantie. Quand on voit la rapidité des événements qui ont suivi et la mort de saint Jean-Gabriel, on peut penser, en effet, que cette mission a été un échec total. Pourtant, c’est bien par son martyre qu’il a annoncé le Christ avec plus de force que par n’importe quel autre moyen. La grande croix apparue dans le ciel au moment de sa mort en est le signe emblématique. Mais le fait qu’aujourd’hui encore, le souvenir du don de sa vie au nom de sa foi au Christ nous parle en est une preuve encore plus grande : la fécondité de la mission n’a pas grand chose à voir avec l’efficacité humaine.

Ceci est une grande leçon pour la mission aujourd’hui dans notre diocèse. Nous pouvons regretter la baisse du nombre d’enfants catéchisés, la faible fréquentation de nos églises, l’exculturation du catholicisme (pour reprendre la formule d’une sociologue). Mais cela ne doit freiner en rien notre motivation profonde de travailler avec l’Esprit Saint à la mission d’évangélisation aujourd’hui. Ce que nous apprend l’exemple, le modèle de saint Jean-Gabriel, c’est d’abord qu’il faut nous guérir de la maladie de chercher ce qui sera le plus efficace. Il s’agit plutôt de chercher ce que l’Esprit Saint nous pousse à réaliser. On reconnaît l’œuvre de l’Esprit Saint quand on expérimente un accroissement d’amour fraternel, quand grandit la charité entre les gens. L’Esprit Saint nous fait nous aimer davantage les uns les autres car il nous fait aimer Dieu qui est un torrent d’amour qui ne veut que se répandre parmi nous tous. Il se reconnaît aussi à la joie qu’il diffuse en nous et autour de nous, à la paix, la sérénité et à toutes les vertus qui se développent. La mission de l’Église n’est donc pas d’abord de faire du chiffre. Souvenons-nous du roi David qui avait voulu comptabiliser le peuple de Dieu et qui avait provoqué en cela un grand malheur et un affaiblissement (cf. 2 S. 24). De même pour Gédéon à qui Dieu dit que le peuple qui combat avec lui est trop nombreux, qu’il doit partir en guerre avec beaucoup moins de moyens car c’est la puissance de Dieu qui donne la victoire (Jg 7,2). Bien sûr, nous nous réjouirions si tous nos contemporains découvraient de quel amour Dieu les aime et devenaient, eux aussi, des disciples missionnaires, témoins ardents de la foi. Mais ce n’est pas ce qui doit être regardé en premier. La question de la mission est d’abord une question de vérité, de cohérence, de conversion profonde, d’intention purifiée de faire ce que Dieu attend de nous et non pas ce que nous imaginons qu’il pourrait vouloir de nous.

L’intention missionnaire de saint Jean-Gabriel doit être considérée en profondeur. Elle découle directement de son intention profonde d’être en conformité et assimilation à Jésus-Christ. C’est pour ressembler davantage à Jésus-Christ qu’il choisit d’être missionnaire de la façon la plus impossible si l’on se fiait à des critères humains de recherche de succès. Partir en Chine, c’était suivre le Christ qui sa donné sa vie. C’était quitter un milieu de vie porteur, une zone de confort humain et spirituel pour aller vers l’inconnu et le désert de la foi. Le parallèle que l’on a souvent fait entre la passion du Christ et celle de Jean-Gabriel confirme bien que s’est réalisé ce désir profond de notre saint : ressembler parfaitement à Jésus-Christ. C’est la clé de toute intention missionnaire authentique. Si nous ne désirons que l’efficacité selon des critères humains, nous prenons le risque très sérieux de ne pas être dans la vérité de l’Évangile.

La vérité de l’action missionnaire, c’est d‘annoncer la foi telle qu’elle est, le mystère de la mort et de la résurrection du Seigneur, l’incarnation du Fils de Dieu, son ascension dans le ciel pour nous ouvrir le chemin de la rencontre avec le Père. Les accommodements de la foi qui réduisent le contenu de la vérité de l’Évangile, même s’ils peuvent plaire à court terme, ne sont pas ce que le Seigneur attend de nous. De même, spécialement en notre temps, renoncer à annoncer la vérité de l’amour, la fidélité comme image de l’amour de Dieu pour nous, le respect de la vie de son commencement à la mort naturelle, la place centrale des plus pauvres et des migrants dans le cœur de Dieu, fait partie, même si cela ne plait pas à beaucoup de nos contemporains, du courage missionnaire qui nous est demandé. C’est pourtant un très beau message de faire savoir que, malgré nos faiblesses humaines, le Seigneur nous appelle toujours à un amour plus désintéressé et généreux, au don de nous-mêmes, à l’humble fidélité du quotidien et à goûter la joie d’une vie simple, sans chercher à tout dominer par la technique et l’illusion de maîtriser notre destin.

L’évangélisation n’est cependant pas non plus une campagne publicitaire pour faire retentir dans un monde sourd des slogans provocateurs. C’est plutôt un travail de longue haleine. Elle passe évidemment par des temps de « première annonce » qui permettent à certaines personnes qui ouvrent leur cœur d’entendre et d’accueillir pour la première fois la bonne nouvelle du Christ. Mais cela demande aussi et souvent un patient travail d’accompagnement, de présence active et bienveillante pour faire découvrir et sentir peu à peu combien la foi implique des styles de vie pratiques bien spécifiques. Ce mode de présence missionnaire est le témoignage de la vie de foi au quotidien. C’est la tâche la plus délicate car cela demande de s’ajuster soi-même sans cesse davantage à l’Évangile. Cela demande de nous laisser convertir au jour le jour. En fait, pour le dire de façon plus heureuse et dynamique, cela demande de vivre au quotidien en présence du Seigneur qui nous éduque lui-même à vivre de la foi, à nous conformer à sa vie à lui. Demeurez en moi, dit Jésus et vous porterez beaucoup de fruits (Cf. Jn 15,5). Le témoignage d’une foi vivante, c’est celui de chrétiens qui vivent au quotidien en présence du Seigneur et se laissent toucher par cette présence du ressuscité et de son Esprit qui sanctifie. Il n’y a qu’ainsi, en ne nous lançant pas comme des franc-tireurs solitaires, mais en expérimentant en frères et sœurs, en communauté de foi, la présence du Seigneur qui nous transforme que la joie de l’Évangile pourra se répandre autour de nous.

Frères et sœurs, prions saint Jean-Gabriel de nous obtenir cette ferveur spirituelle qui a fait de lui un grand missionnaire pour que la joie de l’Évangile se répande autour de nous.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade
évêque du diocèse de Cahors

(Photographie de Gilles Chevriau)

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