Homélie : 25 ans de la canonisation de St Jean-Gabriel Perboyre

Samedi 18 septembre 2021
Messe à l’occasion des 25 ans de la canonisation de saint Jean-Gabriel Perboyre

Mes frères,

25 ans après la canonisation de saint Jean-Gabriel Perboyre, nous sommes réunis ici à Mongesty dans l’église de son enfance, pour marquer un événement, mais aussi pour nous demander, au fond, comment devient-on un saint ?

Je ne dis pas simplement un saint canonisé. Même si la semaine dernière, lors de la visite ad limina à Rome, nous, évêques du sud de la France, avons rencontré le cardinal Semerano, nouveau président de la congrégation pour la cause des saints, qui a pris soin de nous rappeler quels sont les critères pour lancer des procédures de béatification et de canonisation. Il a insisté notamment sur la nécessité de ne pas provoquer artificiellement la réputation de sainteté mais plutôt de discerner quand le peuple, de lui-même, en vient à vénérer une personne et que des faveurs divines se manifestent. Car il ne s’agit pas non plus d’admirer seulement les œuvres que cette personne a fondées ou ses réussites, mais bien essentiellement sa vie vertueuse et son témoignage rendu au Seigneur. Or, ces éléments importants, qui vont un peu contre la culture de l’apparence et du buzz dans laquelle nous sommes plongés, sont déjà une indication importante pour mieux comprendre ce qu’est la sainteté. Ce n’est pas forcément de faire des choses extraordinaires, mais surtout de faire les choses ordinaires avec un amour extraordinaire.

Saint Jean-Gabriel Perboyre, par lui-même, n’a pas eu de grands succès apostoliques de son vivant. Il est parti en Chine, mais très vite, la persécution a limité ses possibilités d’action. Certes, avant cela, il a été un maître des novices Lazaristes à Saint-Flour et à Paris très apprécié et estimé. Cela n’a duré que huit ans. Et sa mission en Chine, ce sera d’abord huit mois de voyage et, à l’arrivée, il tombe malade, si épuisé qu’on lui donne les derniers sacrements. Trois mois plus tard, il commence à se remettre et doit encore étudier la langue chinoise. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1836 qu’il commence à être capable de prêcher en chinois et de confesser. Un an et demi plus tard, pendant l’été 1938, il traverse une grande épreuve spirituelle, une nuit de la foi. Mais trouvant en Dieu sa consolation, il poursuit son ministère encore un an, avant d’être arrêté. Cela ne fait même pas trois ans de ministère actif en Chine. Ce qu’il faut remarquer, c’est qu’il est arrivé comme un pauvre, comme un migrant inadapté aux conditions de vie, ne parlant pas encore la langue du pays. Sans la communauté chrétienne vivante qui l’a accueilli, il n’aurait pu rien faire. Mais cette communauté avait avoir besoin de prêtres. Elle se réjouissait de sa présence et, même pendant un temps somme toute très court, elle a eu recours à son ministère sacerdotal, car cette communauté chrétienne avait soif de la Parole de Dieu et des sacrements. La situation d’indifférence que nous connaissons ici en France peut nous inquiéter quand nous mesurons la liberté qui est la nôtre d’exercer notre culte et de vivre notre foi, mais que nous ne savons pas en profiter quand, au contraire, dans des pays comme la Chine ou c’est la persécution, la ferveur est là.

Mais en fin de compte, à l’heure de la persécution, devant la peur, c’est un des rares convertis du moment, un catéchumène, cédant aux menaces, qui a trahi le père Perboyre. D’autres chrétiens, au contraire ont cherché à le défendre. Mais un des rares nouveaux croyants à qui il avait peut-être lui-même fait découvrir l’amour du Christ, celui-là justement qu’il aurait pu croire être le fruit de son apostolat et son motif de fierté, celui-là l’a trahi. Sans compter que les deux tiers des chrétiens arrêtés avec lui, ont renié leur foi pour échapper aux tortures. Ce fut sa plus grande déception. Voilà la sainteté de saint Jean-Gabriel : peu de réussite dans l’action, mais un témoignage extraordinaire dans la passion, dans la capacité à supporter lui-même l’épreuve, à suivre le Christ dans sa passion, à lui ressembler de plus en plus, à être torturé pendant un an puis étranglé sur un poteau comme Jésus fut supplicié sur le bois de la croix.

Et c’est justement cela la sainteté, non pas un succès artificiel, non pas la réussite d’une entreprise missionnaire sophistiquée, mais le don de sa vie, au milieu d’un peuple, par amour pour Dieu et pour ce peuple. Le don de soi est le cœur de l’appel à la sainteté. Le saint Concile Vatican II enseignait que l’appel de tous à la sainteté, « quel que soit leur état ou leur rang » a pour but d’être « avec toute leur âme, voués à la Gloire de Dieu et au service du prochain » (Lumen gentium n°40). Ce n’est pas plus compliqué que ça. Le pape François nous recommande de savoir « imiter les saints « de la porte d’à côté », qui se sont efforcés, avec la grâce de Dieu, d’appliquer l’Évangile dans leur vie normale de tous les jours. Des saints comme ça, on en a rencontré nous aussi ; peut-être en avons-nous eu un dans notre famille, ou bien parmi nos amis et connaissances. Nous devons leur être reconnaissants, mais surtout être reconnaissants à Dieu qui nous les a donnés, qui les a mis près de nous, comme des exemples vivants et contagieux d’une manière de vivre et de mourir, fidèles au Seigneur Jésus et à son Évangile ».

Jusqu’à son martyre, saint Jean-Gabriel était un prêtre ordinaire, donné au Seigneur, qui avait un grand désir missionnaire, mais sa vie n’a produit que peu de choses à côté de sa mort. Car c’est alors que la radicalité de son amour pour Dieu et ses frères a été visible de tous. Il n’y a pas eu besoin de faire une publicité artificielle car Dieu lui-même a fait briller une grande croix lumineuse dans le ciel à l’heure de sa mort ! Il n’existait pas de rayons laser ni tous les effets spéciaux que nous connaissons aujourd’hui. Mais Dieu n’a pas besoin de ces techniques humaines quand il veut montrer à tous un exemple de sainteté. Beaucoup de fidèles mais aussi beaucoup de païens, depuis de nombreux endroits distants les uns des autres et sans aucune communication entre eux, ont témoigné d’avoir vu cette croix et parmi ces païens, un grand nombre se sont convertis et ont demandé le baptême. Pour un catéchumène qui a trahi, une grande quantité d’autres ont choisi de croire et aimer le Christ. Voilà comment saint Jean-Gabriel a été missionnaire plus que jamais : en restant fidèle au Seigneur, jusqu’au bout de la souffrance et du don de lui-même. Et cela non plus n’était pas artificiel. L’amour pour le Christ n’est pas une abstraction, mais il se vit dans le quotidien, dans les choses banales de la vie ordinaire. Il s’agit de faire par amour, des choses ordinaires, mais des choses bien réelles, bien simples et bien concrètes, comme offrir un sourire même si on n’a pas le cœur à ça, frotter une casserole, écrire patiemment une homélie, faire bien son travail comme Jésus quand il était charpentier dans l’atelier de Joseph. Et tout cela, tout ce réel, vraiment par amour, n’a rien d’artificiel quand il est accompli pour la gloire de Dieu et pour faire du bien à nos frères et sœurs.

Pour quelques-uns d’entre nous, l’appel à la sainteté, c’est peut-être, comme pour saint Jean-Gabriel, donner sa vie comme prêtre, au service de la mission de l’Église. Le monde actuel a tant besoin d’amour gratuit et désintéressé ! Mais, comme saint Jean-Gabriel, tout prêtre reste un homme fragile et incapable de faire de grandes choses s’il n’y a pas de communauté chrétienne qui le reçoit et s’engage avec lui dans le témoignage évangélique, s’il n’y a pas des saints ordinaires qui attendent de lui la grâce des sacrements et l’annonce de la Parole. Le souci des vocations aujourd’hui ne saurait produire seulement une incantation désespérée, mais il doit se concrétiser dans le désir priant d’avoir au milieu de nos villes et de nos villages des prêtres qui fassent rayonner l’amour du Christ en servant un peuple de saints.

Nous sommes réunis en ce jour pour commémorer une canonisation, alors désirons devenir des saints, non pas selon des modèles spectaculaires ni artificiels, mais en vivant notre vie ordinaire dans la confiance en Dieu et dans le don généreux de nous-mêmes, avec toute notre âme, « voués à la Gloire de Dieu et au service du prochain ». Que saint Jean-Gabriel nous y encourage et intercède pour nous auprès du Père de toutes grâces !
Amen.

+ Monseigneur Laurent Camiade
Evêque du diocèse de Cahors

St Jean-Gabriel Perboyre / Vie Quercynoise
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