Baptême du Seigneur

Dimanche 10 janvier 2021 - Lalbenque

 Homélie de Mgr Laurent Camiade

Mes frères,

En célébrant les fêtes de la nativité de Jésus, nous avons remis devant le regard de nos cœurs cette joie de savoir que Dieu s’est fait proche de nous, mieux, il s’est fait l’un de nous. Or, le jour où nous célébrons son baptême, nous réalisons que Dieu incarné a fait un pas de plus, avant de commencer sa mission publique, c’est-à-dire qu’il s’est mêlé clairement aux pécheurs, à ceux qui avaient besoin d’être purifiés. Jésus a pris sur lui, non seulement notre humanité, avec tous les dons que le Créateur a fait aux hommes, avec cette vocation à refléter Dieu, à être l’image de Dieu, mais aussi, lui qui est l’image parfaite de Dieu, il se mêle aux pécheurs, à ceux qui reconnaissent qu’ils ont laissé se déformer sur leur visage l’image de Dieu et avaient perdu la ressemblance avec Dieu. Il s’est mêlé, toutefois, non aux pécheurs en péchant avec eux, non aux perdus en se perdant avec eux, mais aux pécheurs dans leur chemin de conversion et dans leur rite de purification, le bain du baptême motivé par la prédication de Jean-Baptiste.

Mais tout en se mêlant aux pécheurs qui se convertissent, il se révèle, puisqu’à ce moment où son Incarnation pourrait devenir la plus enfouie, la plus cachée, à ce moment précis, la voix du Père se fait entendre et l’Esprit se manifeste en descendant sur Jésus comme une colombe. Ainsi Dieu Trinité se révèle clairement pour la première fois de toute l’histoire sainte, justement au moment où l’Incarnation du Fils aurait pu se fondre le plus profondément dans l’ambiguïté humaine. Mais Dieu ne trompe jamais son monde. Il sait faire le grand écart en se faisant proche des zones les plus honteuses de nos vies, tout en se révélant au même moment de la façon la plus lumineuse.

Cela exprime quelque chose de la force de l’expérience chrétienne : c’est le plus souvent quand nous acceptons notre condition de pécheurs, lorsque nous avons la conscience la plus aiguë de notre besoin de conversion que nous expérimentons aussi le plus profondément la joie d’être sauvés et pardonnés. Alors nous pouvons sentir la consolation de Dieu. Si, au contraire, nous vivons à l’extérieur de nous-mêmes, dans la recherche d’apparences de succès ou de vaine gloire, derrière les masques trompeurs d’une dignité fabriquée, nous nous éloignons de la vraie joie et de la connaissance de Dieu. De même, à la suite de Jésus, si nous osons nous rapprocher de nos frères les plus abîmés à cause du péché, pour partager leur humiliation sans nous y perdre, sans céder aux facilités de la compromission ou aux tentations des plaisirs faciles, si nous développons des relations fraternelles humbles et courageuses, nous retrouvons Jésus, notre frère, nous retrouvons l’Esprit Saint qui fortifie, et nous percevons la joie du Père qui nous aime.

La force du baptême et des autres sacrements, c’est justement de nous rejoindre sur nos chemins de conversion, de croissance spirituelle et d’engagement fraternel. Le baptême donne cette grâce de vivre de la vie de Dieu, de partager en nous-mêmes le mouvement de l’Esprit Saint qui relie le Père et le Fils.

Nous pouvons contempler ce mouvement de l’Esprit Saint. L’Évangile de Marc, comme celui de saint Mathieu, ne dit pas que l’Esprit Saint ressemble à une colombe. Luc parle de l’apparence corporelle d’une colombe. Mais si nous lisons bien, ce que disent tous les Évangiles, c’est que l’Esprit Saint descend. Marc et Matthieu disent qu’il descend comme une colombe. Il faut donc regarder non les plumes ou le bec de la colombe, mais regarder comment elle descend. Avec douceur, souplesse et une certaine rapidité. Elle étend ses ailes, s’appuie sur l’air et se prépare à poser ses pattes sur le lieu vers où elle descend. Autant d’images riches de sens spirituel pour comprendre le mouvement de l’Esprit Saint.

L’Esprit Saint fait d’abord, et de toute éternité, le lien entre le Père et le Fils mais aussi, Il fait le lien entre le ciel et la terre, entre Dieu et nous. Il ne nous retire pas de notre pesanteur terrestre, il ne fait pas de nous des anges, mais il nous rejoint là où nous sommes, il descend vers nous. Il y a là encore une image, l’image de l’unité des trois personnes divines qui adoptent le même mouvement vers les hommes, comme Dieu s’est fait homme en Jésus et descend dans le Jourdain avec les pécheurs, l’Esprit Saint descend dans nos cœurs et la voix du Père nous révèle son amour pour son fils, lequel peut nous rejoindre grâce à l’Incarnation du Fils. Et cela fait la joie du Père. La Trinité est un mystère de joie !

L’Esprit descend comme une colombe : il me semble qu’on peut parler de douceur, de souplesse et de vivacité en même temps. Douceur car l’Esprit saint n’écrase pas, ne détruit rien, mais donne un sentiment de paix à ceux qui le reçoivent. Souplesse car les mouvements de l’Esprit Saint dans nos cœurs s’adaptent à notre liberté, à nos capacités du moment à l’accueillir, à notre disponibilité. Vivacité car l’Esprit de Dieu ne veut pas perdre de temps, Il vient de loin pour nous rejoindre et parfois nous pouvons nous sentir au premier abord un peu bousculés, même si le fruit, à moyen et long terme, sera toujours finalement joyeux et paisible.

J’aime bien regarder aussi les pattes de la colombe lorsqu’elle approche du lieu où elle va se poser. Le philosophe Nietzsche disait, paraît-il, que « Ce sont les paroles les moins tapageuses qui suscitent la tempête et les pensées qui mènent le monde viennent sur des pattes de colombe ». Mais si nous pensons à la Pentecôte, nous comprenons que l’Esprit Saint ne se cache pas pour descendre sur les hommes, il peut même provoquer un tremblement de terre, un grand bruit et susciter un discours fort et clair qui touche les cœurs, chacun entendait les disciples parler dans sa propre langue. C’est pareil le jour du baptême : le ciel s’ouvre et tous entendent la voix du Père. Ce que j’aime regarder, c’est la colombe qui arrive sur terre en étendant ses pattes. Elle écarte ses doigts pour bien saisir la réalité sur laquelle elle se posera. L’Esprit Saint n’agit pas dans l’abstrait, mais bien dans le réel de nos existences, il s’y agrippe pour travailler en nous et nous relier à Dieu non de façon superficielle mais de façon concrète, à partir de notre vie réelle. Cela rejoint bien ce que Jésus nous dit à travers ses trente années de vie à Nazareth, avec saint Joseph et la sainte Vierge Marie, trente années de vie ordinaire où l’Esprit Saint n’était pas moins présent que le jour du baptême. Simplement, le jour du baptême, ce qui changera c’est justement qu’on le voit ! C’est le début de la prédication de Jésus qui ne passe pas par beaucoup de mots, mais par un langage clair, hautement symbolique par lequel Dieu se manifeste aux yeux de tous.

Quand la voix du Père se fait entendre, on comprend bien qu’il n’y a pas seulement le Christ et l’Esprit Saint, mais aussi le Père qui aime et désigne lui-même son « Fils bien-aimé ». Et il révèle sa joie, la joie de Dieu ! « En lui, je trouve ma joie ! ».

Merci Seigneur, Dieu notre Père, de nous faire partager ta joie ! Tu la trouves en Jésus-Christ ton Fils qui s’est abaissé jusqu’à notre humanité et sur qui descend l’Esprit Saint. En nous donnant la grâce du baptême et des autres sacrements, tu nous fait partager ta joie, tu nous associes étroitement à la vie de ton Fils. Cela nous engage, à sa suite, sur une route de fraternité. Cette route passera par la croix, et, à travers la croix, elle nous conduit à l’éternelle joie de la résurrection. Que ta joie demeure toujours en nous, en toutes circonstances !
Amen.

+ Mgr Laurent Camiade, évêque de Cahors

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