Les chrétiens sont des hommes d’aube

Il faisait encore « sombre » lorsqu’elle était partie vers le tombeau. Le ciel de Jérusalem hésitait entre nuit et jour. Elle marchait dans la paix lourde qui suit la mort. Elle allait là-bas comme s’il était encore possible de faire quelque chose pour lui. Et elle s’attendait à buter contre l’énorme pierre qui la séparait à jamais de la pauvre dépouille de Jésus. Tout à l’heure, et combien de fois dans l’avenir, elle irait pleurer contre cette pierre.
Stupeur : « Elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle « court » trouver Pierre et l’autre disciple : « On a enlevé le Seigneur... » Pas un instant, elle n’a fait l’hypothèse d’un événement divin. « Nous ne savons pas où on l’a mis. » La sépulture a-t-elle été violée ?...
Pierre et l’autre disciple se précipitent. « Ils couraient tous les deux ensemble mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier... » Il se penche et voit les bandelettes. Pierre arrive, essoufflé sans doute, il rentre dans la grotte, il « regarde » les bandelettes, et le linge qui entourait la tête roulé à part.
L’autre disciple entra, « lui qui était arrivé le premier ». D’une autre manière encore, il va être le premier...

Cette scène mouvementée se termine avec une brièveté abrupte, dans l’instant lucide d’un regard : « Il vit et il crut. »
Il crut... de rien ! Le tombeau ouvert, les linges posés, il n’en fallut pas davantage pour que son regard aille plus loin, jusqu’à percevoir que Jésus a traversé la mort pour accéder à l’existence de Dieu. Et lui n’est pas comme Lazare qui sortit du tombeau entravé dans les bandelettes. Jésus vit désormais d’une vie qui se joue des murailles, des portes fermées, des épaisseurs du temps et de l’espace.
D’autres séquences des évangiles s’efforceront de dire comment les disciples ont perçu cette existence nouvelle de Jésus. Ces textes variés, difficilement conciliables parfois, utilisent les modes d’expression du temps : ils sont loin de nous et peuvent nous dérouter. Nous risquons d’en faire des lectures maladroites. Les spécialistes cherchent leur signification exacte.
Mais l’essentiel est là, dans cette page vibrante : « il vit et il crut. » Car ses yeux avaient été transformés par la fréquentation de Jésus depuis des années. Il avait appris à voir la fécondité du grain jeté en terre et chaque geste de Jésus lui avait montré qu’il était « voie, vérité et vie ». Comme les amis qui avaient accompagné Jésus, il savait que la mort elle-même serait bousculée par une pareille vie.

Il crut. Ce ne fut pas une preuve écrasante qui fit éclater cette lumière en lui. Pourquoi veut-on toujours des preuves ? L’amour sait lire à travers des signes ténus et les certitudes les plus diaphanes échappent à toute manipulation. Le mot du peintre Louis Braque est à méditer : « Les preuves fatiguent la vérité. »

Les chrétiens sont des hommes d’aubes. Ils savent dans l’ombre attendre la lumière et la faire naître. Un monde toujours nouveau a commencé avec le « premier jour de la semaine ». Les disciples vont annoncer aux Juifs que Jésus a inauguré la « résurrection » attendue. Aux Grecs qui n’avaient pas cette notion de résurrection, ils diront qu’il s’est « éveillé » d’entre les morts et qu’il est « vivant ».

Désormais, la mémoire chrétienne n’oubliera plus que les tombeaux mêmes sont faits pour s’ouvrir. Etre chrétien c’est regarder et « voir », dans l’Esprit de ce Jésus qui a traversé la vie et la mort. Voir comme si nous inventions de la lumière jusque dans les ténèbres, en la faisant surgir de la force de notre amour. Cette lumière toujours ressuscitée, l’homme semble la créer, car il l’accueille de la discrétion de Dieu.

Gérard BESSIERE

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