Funérailles de Nathanaël Bonnemère

Samedi 7 octobre 2023.

 Homélie de Mgr Laurent Camiade :

Chers frères et sœurs,

En méditant sur la mort de Nathanaël, j’ai essayé de comprendre ce qui pousse des jeunes gens à aimer monter en haut du ciel, à 4000 mètres, pour redescendre jusqu’au sol, et recommencer. On peut tous imaginer qu’il y a de l’adrénaline, des sensations fortes, le goût du défi. Et pour des militaires, l’enjeu de s’entraîner à rejoindre des terrains d’opération pour défendre son pays et sauver des populations éprouvées par la guerre… n’importe qui n’est pas chuteur opérationnel, ils font partie de l’élite de l’armée française.

Mais en considérant tout cela en lien avec l’évangile que nous avons entendu, ce texte qui avait été lu à la messe vendredi 29 septembre, pour la fête de la saint Michel, il m’a semblé qu’il y avait aussi d’autres significations, des significations qui pourraient nous aider à vivre ensemble ce deuil si terrible. Le texte se termine, en effet, par une remarque de Jésus à l’Apôtre Nathanaël, à celui-là même dont notre cher disparu portait le nom. Jésus lui dit : « tu verras des choses plus grandes encore… vous verrez le ciel ouvert, et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme ».

Cette image des anges qui montent et descendent m’a fait penser à notre Nathanaël qui, avec ses camarades, montait et descendait, montait en avion pour redescendre en parachute, quatre fois ce jour-là même, pendant que cet évangile était lu dans toutes les églises du monde. Dans sa caserne, ce texte aussi a été proclamé. Mais lui, pendant ce temps, un peu comme les anges, montait et descendait. Les anges, selon les mots de Jésus, faisaient le lien entre le ciel et la terre. Ce « ciel ouvert » dont parle l’évangile est à un étage encore plus haut que les 4000 mètres d’où les paras ont sauté : c’est le ciel de Dieu qui est une autre dimension de la réalité, une dimension plus inaccessible encore que le ciel des avions ou des véhicules spatiaux. « Tu verras des choses plus grandes encore » avait promis Jésus à l’Apôtre Nathanaël. Le nôtre n’imaginait pas que cette promesse allait si vite se réaliser pour lui après son dernier saut.

Cette vision des anges qui montent et descendent, selon l’Évangile, a une signification qui peut nous aider. Car elle indique que même si le ciel de Dieu nous reste invisible tant que nous sommes de ce côté-ci de la vie, il ne nous est pas absent, il n’est pas sans lien avec nous. C’est pourquoi nous pouvons prier pour Nathanaël et notre amitié pour lui lui est bénéfique, elle peut l’aider à contempler l’immensité divine. Et, de même, en retour, même s’il n’est plus physiquement présent parmi nous, lui, peut recevoir de Dieu la possibilité de nous consoler, de nous faire sentir un peu de la lumière dont il s’est trop vite rapproché. Ces anges qui montent et descendent, de façon invisible, continuent de faire le lien entre nous, si nous le voulons bien.

Nathanaël Bonnemère était perçu comme un garçon qui aimait rassembler les gens, faire des liens. Aîné de cinq frères, il avait le souci qu’ils puissent se réunir de temps en temps en famille avec leurs parents. Avec ses camarades, dans le scoutisme, au régiment parachutiste ou avec les pompiers, il apportait du lien entre tous, avec son tempérament joyeux et souriant, son dynamisme qui boostait les autres. De même il avait tenu à se marier à l’église pour que le lien avec son épouse et la famille qu’ils ont fondée soit scellé par Dieu et qu’il dure « jusqu’à ce que la mort les sépare » —selon la formule classique, mais personne n’imaginait que ce serait si vite. Mystère d’un drame que nous ne pourrons pas comprendre ici-bas.

Le nom même de « Nathanaël » a été choisi par ses parents à cause de son étymologie : « Dieu donne ». Pour des parents, leur premier enfant est un telle merveille, même s’ils savent que biologiquement ils y sont pour quelque chose, mais s’est si beau, si miraculeux une naissance qu’ils peuvent vraiment se dire que cet enfant est un don de Dieu. A Nathanaël et Cindy, Dieu a donné deux magnifiques petites filles. Elles restent ici-bas avec leur maman et sous le regard aimant de leurs grands-parents, des autres membres des familles et des amis. Peut-être découvriront-elles un jour qu’il existe et existera toujours un lien invisible avec leur papa qui est parti vers le ciel. Nous pouvons le leur souhaiter.

Pour revenir à l’évangile, il raconte cet étrange dialogue entre Jésus et celui qui deviendra un des douze Apôtres, Nathanaël, et qui est encore, à ce moment-là, un israélite instruit mais n’ayant pas découvert le Christ. Il est savant et plein de franchise, « il n’y a pas de ruse en lui » dit Jésus en le voyant. Et Nathanaël s’étonne, comment Jésus peut-il me connaître ? C’est cet étonnement qui va provoquer sa foi et il s’écrie spontanément : « tu est le Fils de Dieu ». Pour accéder à la foi, il nous faut des étonnements, la découverte que Dieu s’occupe de nous, qu’Il ne nous abandonne jamais, qu’Il nous connaît. Ce n’est pas du tout évident face à l’épreuve d’une mort brutale de sentir cette proximité de Dieu. On pourrait le penser absent, se demander pourquoi ? Il y a beaucoup de « pourquoi ? » Mais la réponse de Dieu est dans les consolations qui peuvent nous apparaître, dans l’amitié qui se manifeste, dans la force inattendue que l’on peut ressentir aux moments les plus douloureux, dans l’expérience de l’aide d’autrui, si l’on accepte de se laisser aider, de se laisser aimer, par les autres et par Dieu.

Et par-delà cette première expérience de la consolation et de la force de Dieu, il nous est promis « des choses plus grandes encore » : voir le ciel ouvert, croire que le monde de Dieu et le monde de la terre ne sont pas étrangers l’un à l’autre. Des anges montent et descendent, avec autant d’enthousiasme et de courage que des paras qui aiment sauter. Un tel degré de foi, éclairée par les paroles de l’Évangile, nous fait découvrir que ceux qui nous ont quitté, même s’il faut apprendre à vivre sans leur présence physique et sensible, pourtant ne cessent pas de nous aimer. Et nous pouvons continuer à les aimer, avec un amour tellement pur qu’il accepte de ne rien sentir en retour, de ne pas percevoir la gratification d’une présence ou d’un sourire, de la joie rayonnante et du goût des autres que nous lui connaissions. Un amour aussi désintéressé est une grâce de Dieu, nous pouvons la demander, nous pouvons l’espérer.

Amen.

+ Mgr Laurent Camiade,
évêque du diocèse de Cahors

Avis de décès de Nathanaël Bonnemère

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