Mgr Camiade à la fête de saint-Vincent

Dimanche 31 janvier 2016
Fête de saint Vincent - patron des vignerons

Homélie

On sait que saint Vincent de Saragosse, ayant vécu au IV° siècle, était diacre, a subi le martyre pour témoigner de sa foi et l’a fait avec bonne humeur, comme s’il était porté par une grâce le rendant comme insensible à la douleur.

Une tradition rapporte que son supplice fut terrible et qu’il fut écrasé sur un pressoir où son sang a coulé, comme le raisin qui donne du bon jus pour faire le vin. Cette image violente mais adoucie par son humour et sa joie que le supplice n’a pas su entamer, peut nous servir à méditer sur sa vie et sur notre vie, sur notre manière d’aborder les souffrances ou les difficultés de notre vie. En ce jour où de nombreux vignerons sont rassemblés dans cette église, l’image du pressoir est sans doute une image parlante.

On la trouve dans l’Évangile avec la parabole de la vigne et des vignerons homicides qui cite le pressoir (Mt 21,33/Mc 12,1). Saint Augustin et Isidore de Séville, aux IV° et V° siècle développeront cette image du pressoir comme figure de la croix du Christ où il verse son sang comme on presse le raisin pour faire le vin et apporter la joie de la résurrection au monde (tradition du "pressoir mystique" illustrée dans l’art depuis le Moyen-âge).

Regardons cette image du pressoir : elle nous montre une mécanique solide et implacable, une œuvre du génie humain. Historiquement, l’homme est passé du foulage aux pieds à d’autres techniques plus élaborées. Les premiers pressoirs, dans l’antiquité, étaient surtout des pressoirs à torsions qui ont précédé les systèmes à levier, puis à vis. Plus notre génie technique est puissant, nous le savons, plus nous sommes tentés de l’utiliser aussi à des fins destructrices comme ce fut le cas pour torturer et tuer saint Vincent. Parfois même, nos inventions et les technologies que nous croyons maîtriser nous détruisent à notre insu ou saccagent la Création. Les meilleures inventions peuvent être détournées de leur fin. C’est tragiquement vrai dans une culture de l’indifférence où l’homme est comme aveuglé sur le mal qu’il fait à ses semblables par sa fascination du pouvoir technologique.

Les meilleurs vins peuvent aussi, hélas, être utilisés pour s’enivrer et provoquer des drames terribles, comme par exemple de la violence conjugale ou des accidents de la circulation pouvant détruire des familles entières. Cela nous invite à la modération comme il est souvent dit et peut-être à retrouver la vraie valeur d’un bon vin partagé entre amis, dégusté sans excès mais de manière à apprécier la convivialité d’un bon repas à travers laquelle la fraternité grandit.

Il y a de si bons vins en France et notamment dans nos régions, comme ici sur les coteaux du Quercy qu’il serait bien dommage de les détourner de leur finalité qui est, comme dit l’Écriture, de "réjouir le cœur de l’homme" (Ps 103(104),15).

Le pressoir est donc le signe du soin que l’homme met à faire son vin, un soin qui peut se conjuguer avec une exigence éthique. Mais il est aussi un moyen de ne pas gaspiller. Il a pour but de permettre au grain de donner tout son suc, de le rendre plus généreux que le simple foulage au pied. Saint Vincent a montré toute la générosité de sa foi. On dit qu’il était diacre, c’est-à-dire serviteur et qu’il a donné sa vie en allant au martyre

en suivant Valère, son évêque, pour ne pas le laisser aller au martyre sans son diacre. Cela peut sembler étrange comme attitude : on pourrait se dire qu’un martyr suffisait et qu’il n’y avait pas besoin de volontaires pour l’accompagner dans les supplices. En fait, il faut bien comprendre ce que signifie l’évêque avec son diacre. La diaconie, dans l’Église, doit toujours accompagner la prédication et la célébration des sacrements. L’évêque est normalement très occupé par l’annonce de l’Évangile et l’organisation de la vie de prière, l’envoi en mission des prêtres et des différents évangélisateurs pour faire connaître la bonne nouvelle du Christ. Il peut manquer de temps ou même oublier d’être attentif aux plus fragiles, aux plus blessés, à ceux qui n’osent pas s’adresser à lui, à ceux qui ont pu aussi avoir des différends ou vivre des conflits dans la communauté chrétienne. Le diacre a été institué pour cela, pour resserrer les liens dans la communauté et pour montrer que l’évêque ne néglige pas les plus pauvres, au contraire, il se fait accompagner d’un ministre du service pour lui rappeler toujours qu’il est lui-même un serviteur. Le diacre manifeste cela. Mourir pour le Christ sans son diacre aurait pu faire croire que l’évêque est une sorte de fanatique, crispé sur une idéologie qu’il refuse de remettre en cause. Mourir avec son diacre, c’est au contraire rappeler à tous que la foi chrétienne est autant une vie de partage et de service qu’un enseignement et une mise en relation avec Dieu. La générosité du raisin sous le pressoir est aussi l’image de la générosité du chrétien qui ne donne pas sa vie pour lui-même, ni pour préserver une bonne image de soi ou une illusion de pureté, mais il ne peut donner sa vie qu’au nom de l’amour, et spécialement de l’amour des pauvres et des pécheurs pour lesquels Jésus avait versé son sang sur la croix.

Et le jus pressé sur la croix c’est l’amour, cet amour dont saint Paul dans le beau texte lu en seconde lecture dit qu’il ne passera jamais. Aucune persécution, aucune haine ne peut éteindre l’amour : "L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout. L’amour ne passera jamais" (1 Co 13,4-8).

Cet amour qui franchit tous les obstacles comme Vincent qui traverse le supplice du pressoir avec le sourire, se trouve aussi illustré dans l’Évangile quand on voit Jésus que les habitants de Nazareth veulent pousser du haut d’un escarpement mais qui paisiblement "passe au milieu d’eux" (Lc 4,30), comme l’amour patient, miséricordieux, humble et sans rancune qui ira jusqu’au bout de sa mission sans blesser personne, qui poursuit son chemin, presque imperturbable.

Pourquoi les habitants de son village sont-ils ainsi furieux contre Jésus ? Parce qu’il leur a fait remarquer que nul n’est prophète en son pays et que les prophètes en lesquels ils croient (Élie, Élisée) ont été rejetés par leurs propre peuple mais n’ont pas hésité à guérir des étrangers, à prendre soin d’une pauvre veuve païenne... Dieu est universel. Il n’est la propriété d’aucun peuple. Il n’est pas prisonnier d’une idéologie partisane, il se donne à tous d’une façon paisible, par amour. Mais rien ne peut arrêter la bonté obstinée de l’amour vrai. Passant au milieu des furieux, Jésus va son chemin, quitte à verser son sang sur le pressoir de la croix. Il continuera d’aimer jusqu’au bout, de pardonner, de faire miséricorde.

Amen.

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